Après avoir ouvert sa succursale parisienne en avril, le patron de l'agence de publicité montréalaise Sid Lee s'est installé dans la capitale française en septembre: «J'aime les défis et la nouveauté, dit-il. Ça ne manque pas à Paris.»

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Paris n'impressionne pas Bertrand Cesvet: «C'est une ville où tout est compliqué, mais ça m'amuse, j'aime bien la nouveauté, et j'en avais assez de passer ma vie à faire l'aller-retour entre Montréal et Magog, les vendredis et dimanches soir», plaisante-t-il.

 

Bien sûr, Paris est une ville où il est venu «au moins 200 fois», et qu'il connaissait par coeur. Il est né d'un père français immigré au Québec: «Mais ici, je suis bien le seul à le savoir, dit-il. Il ne se passe pas une journée sans qu'on me dise: «Ah! j'adore votre accent!»» Ce qui ne lui fait ni chaud ni froid. Au restaurant, il vous retourne une bouteille de Saint-Émilion légèrement bouchonnée avec amabilité mais autorité.

Le jeune homme en forme de 45 ans - tenace pratiquant de jogging et de tennis - arrive à pied et en parfait anonyme au Nemours, beau café installé sous les arcades du Palais-Royal avec vue de biais sur la Comédie-Française. Jeans délavé, tee-shirt noir et veste savamment négligée. L'allure de celui qui ne cherche pas à se faire remarquer et qui n'a plus rien à prouver dans son domaine: «À Montréal, Sid Lee compte 300 salariés: ça se compare aux agences de pub françaises les plus importantes. Et dans le milieu de la pub, les gens le savent.» Parmi les copains de Cesvet, un certain Jacques Séguéla, vieux gourou drôle et insupportable de la pub parisienne.

Une heure plus tard, pour aller faire une photo aux Champs-Élysées devant la boutique Adidas - conçue et dessinée par Sid Lee -, il décidera de monter à l'arrière de la moto du photographe: «Je reviendrai en métro, c'est direct», dit-il en bon connaisseur des embouteillages parisiens. Mais bon: quand on a loué pour passer l'année - et à «prix d'ami» - un hôtel particulier de 400 mètres carrés dans le quartier-village éminemment bourgeois de Passy, et qu'on a placé ses deux filles adolescentes au lycée international du Trocadéro, l'établissement pour enfants de diplomates de haut vol, on n'a pas vraiment besoin d'exhiber une voiture avec chauffeur pour impressionner la galerie.

«Mon seul problème, ironise-t-il, c'est de trouver un endroit pour jouer au tennis. Pour être admis au Racing Club (l'un des clubs les plus select de Paris NDLR), il faut presque y avoir de la famille depuis deux générations!»

Bertrand Cesvet, qui a déjà voyagé dans sa vie - et ouvert sa première agence européenne à Amsterdam il y a trois ans -, ne s'étonne de rien ou presque: «Si j'ai placé mes deux filles au lycée international à des prix inimaginables, c'est que c'était impossible, à partir de leur cursus montréalais, de les insérer dans un établissement français normal. Il faut vraiment s'installer à Paris et y ouvrir une boîte pour constater à quel point c'est bureaucratique. Aux Pays-Bas, tout est fait pour faciliter les affaires: tout se règle en deux jours. En France, alors que j'arrive en investisseur, on a commencé par me refuser mon visa, et j'ai été un «sans-papiers» jusqu'à ces derniers jours! Mais c'est bien: je voulais que mes filles voient autre chose que leur petite vie sans problème au Québec.»

Comme il le dit lui-même, l'ouverture d'une agence à Amsterdam (25 salariés) était la suite logique du gigantesque contrat avec Adidas dont le QG est voisin de la frontière néérlandaise.

L'installation à Paris relève davantage du hasard, et a priori n'allait pas de soi: «Ici, le monde de la pub fonctionne sur un mode beaucoup plus protectionniste. Et souvent les nouveaux venus se sont cassé la gueule: ce n'est pas demain que Renault donnera des contrats à des étrangers. Les grandes agences françaises ont le monopole sur les entreprises nationales. Elles ont également un fonctionnement plus traditionnel. Prenez l'internet: pour les Français, c'est un élément de plus, un complément. Alors que pour nous, dans certains cas, comme pour Red Bull, l'internet représente 80% de notre campagne publicitaire. L'autre jour, je suis allé faire mon pitch devant des responsables d'un gros assureur français, le GAN pour pas le nommer. Je n'avais rien vu d'aussi conservateur depuis le début de ma carrière! Vous pouvez l'écrire, car on ne risque pas de faire affaire!»

En revanche, Paris possède, selon Cesvet, «des créatifs exceptionnels, qui ont cette qualité introuvable en Amérique du Nord: ils sont cultivés». C'est la rencontre avec l'un d'entre eux qui a tout déclenché. Sylvain Thirache, 36 ans, est dans son secteur une vedette consacrée, que les journaux professionnels suivent à la trace. Il a donc quitté DDB, l'un des «majors» français, pour devenir le «créatif» en chef chez Sid Lee à Paris. Et les affaires ont déjà atteint une bonne vitesse de croisière, avec des contrats des plus divers - une bière par-ci, un Eurostar par-là -, et un chiffre d'affaires qui a déjà atteint 1,1 million d'euros (1,8 million$).

«Ce que nous apportons de nouveau à Paris, dit le grand patron de Sid Lee, c'est une diversité dans l'approche: on touche aux médias traditionnels, à la télé, aux journaux, mais on fait aussi dans le design, l'architecture. Et bien sûr l'internet, qui a tout révolutionné. Avec, en tête, cette idée simple: ce n'est pas d'avoir entendu 20 fois le nom d'un produit qui vous détermine, mais le fait que trois de vos connaissances disent: la Mini Cooper, elle est formidable. Ça s'appelle le bouche-à-oreille, et ça vaut de l'or.»

C'est avec des idées simples de ce genre - et une efficacité à l'américaine - que Cesvet est peut-être en train de réussir son pari français. Et c'est peut-être pourquoi des clients lui disent: «Enfin un Américain qui comprend l'Europe!» Pour lui, c'est peut-être la chance d'un petit pays comme le Québec que d'être obligé de se projeter à l'étranger: «Aux États Unis, les gens, déjà, nous disaient que nous étions les seuls Européens à comprendre l'Amérique! Nous avons un avenir.»