Une affiche aux couleurs éclatantes mettant en scène un jeune couple tout sourire invite le passant à acheter une propriété ultra moderne et lumineuse au coeur de Clongriffin, le «plus récent» développement immobilier de Dublin.

La réalité qui se cache derrière l'affiche, posée sur un haut mur noir s'étendant sur toute la longueur de la rue principale, est passablement moins inspirante. On découvre, par un trou, un vaste terrain vague qui devait, il n'y a pas si longtemps, devenir un stationnement pour un luxueux centre commercial. Le centre lui-même est construit mais il est complètement vide. Seule âme qui vive à proximité, le chauffeur d'un autobus municipal sensé ramener les heureux adeptes de shopping vers le coeur de la capitale irlandaise, à plusieurs kilomètres de là.

«J'ai plus de chance de trouver un lutin ici qu'une adepte de shopping», confie, un brin dépité, le chauffeur du véhicule vide, Paul Lenon.

«C'est une ville fantôme», ajoute-t-il, en montrant un bâtiment voisin qui devait servir d'hôtel. Lui aussi est vide.

Dans la rue principale, la situation est à l'avenant. La plupart des locaux commerciaux sont déserts ou promettent l'installation prochaine de commerces qui, visiblement, ne sont pas prêts de se matérialiser. Le silence est troublé uniquement par le passage occasionnel d'avions en route vers l'aéroport de la ville, située non loin de là.

Les propriétaires de la seule pharmacie de la rue, fermée lors du passage de La Presse, ont placé une note s'apparentant à un SOS dans laquelle ils s'excusent d'avoir dû réduire de près de moitié les jours d'ouverture.

«Nous faisons appel à votre soutien continu et au soutien de tout le monde à Clongriffin. Nous en avons besoin pour pouvoir survivre», écrivent-ils.

Sinead O'Brian, qui s'est installé dans le secteur il y a quelques années, relate que l'ambiance était toute autre à son arrivée.

«Tout bougeait, c'était l'euphorie. Maintenant, c'est une autre époque. J'avais un emploi, je n'en ai plus. Mon mari avait un emploi dans le secteur de la construction, il n'en a plus. Il a acheté une licence pour conduire un taxi mais il doit travailler jour et nuit pour gagner un salaire décent», souligne la jeune femme de 26 ans, qui occupe son temps en baladant son chien.

David Cardick, un résidant du secteur, n'apprécie pas du tout le triste spectacle offert par Clongriffin. «C'est terrible et déprimant à voir. Environ le quart seulement des bâtiments sont occupés», grommelle le retraité de 64 ans.

Le fiasco, dit-il, est imputable aux banques qui ont prêté sans compter aux promoteurs immobiliers sans prêter attention à la saturation du marché.

«Maintenant, ils ne sont pas capables de récupérer leur argent. Et ce sont les Irlandais qui doivent payer la note», souligne M. Cardick, en référence au fait que le gouvernement s'est porté garant des dettes des banques pour éviter leur effondrement.

La situation de Clongriffin est loin d'être unique puisque le boom immobilier qui a alimenté la croissance économique de l'Irlande depuis cinq ans n'est plus qu'un lointain souvenir.

Un peu partout dans le pays, des développements à moitié complétés apparaissent en périphérie des villes. Et il faudra des années pour que les appartements et locaux vacants trouvent preneur, compromettant toute possibilité de reprise du secteur. Et de remontée des prix.

Une perspective désagréable pour Sinead O'Brian, qui préfère ne pas trop élaborer sur la dévaluation du duplex acheté il y a quelques années avec son conjoint.

«Sa valeur a tombé des tonnes mais ça ne sert à rien d'en faire une dépression. Qu'est-ce que ça changerait?», demande-t-elle avant de reprendre sa promenade.