Pour la deuxième fois en à peine un mois, la Maison Jean Lapointe estime menacée sa mission de rééducation des alcooliques dans son centre de thérapie du Vieux-Montréal.

Au mois d'août, la Maison Jean Lapointe avait dû se battre devant la Régie des alcools, des courses et des jeux pour empêcher un restaurateur voisin de vendre du vin sur sa terrasse à la vue des alcooliques en thérapie.

Cette fois, l'immeuble qui abrite le centre depuis 30 ans au coin des rues Saint-Pierre et Marguerite-d'Youville est mis en vente par le gouvernement fédéral, menaçant par le fait même la pérennité des activités de la Maison Jean Lapointe à cet endroit.

Dans un courriel, le vendeur, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), soutient qu'il n'existe aucun lien entre les problèmes de cohabitation entre les deux locataires et la mise en vente de l'immeuble, un mois plus tard.

L'édifice a été acquis en 1977 dans le cadre d'un projet s'inscrivant dans une stratégie de revitalisation du Vieux-Port de Montréal et «n'est plus pertinent au mandat de la SCHL», laisse savoir l'organisme du gouvernement canadien dans un courriel. L'organisme ne détient aucun immeuble du genre au Québec, a dit Charles Sauriol, du bureau des relations avec les médias.

Dans la demande de propositions préparée par la SCHL, aucune condition n'oblige le futur acquéreur à préserver la mission de «réhabiliter des alcooliques», qui a été un élément central dans la décision du tribunal administratif de refuser le permis d'alcool pour la terrasse extérieure du restaurant L'Atelier d'Argentine.

Nous n'avons pas pu parler à Christopher Nacos, président de la société à qui appartient le restaurant.

La Maison Jean Lapointe craignait que les efforts de ses patients soient ruinés à la vue des bouteilles de vin. Son bail arrive à échéance en juillet 2017. L'organisme bénéficie d'un loyer de faveur de 1$ par mois pour la durée du bail.

«C'est certain que [cette décision] a beaucoup d'implications pour nous, reconnaît Rodrigue Paré, directeur général de la Maison Jean Lapointe. Compte tenu des budgets d'un organisme sans but lucratif, c'est extrêmement coûteux pour la maison de se reloger. C'est sûr que ça pose un problème de taille.»

La SCHL veut obtenir un minimum de 8 millions de la vente des Cours Saint-Pierre, un immeuble vieux de 137 ans. La Ville donne une valeur de 2,5 millions dans sa plus récente évaluation. L'immeuble est vendu tel quel sans garantie légale. Les offres doivent être déposées au plus tard le 25 octobre.

«Ce qui nous surprend, c'est que les délais soient aussi courts. Un vendredi, deux personnes de la SCHL sont arrivées pour nous dire que l'immeuble serait en vente à partir de lundi et qu'on a jusqu'au 25 octobre pour déposer une offre», dit M. Paré. Celui-ci ne pouvait expliquer la précipitation du vendeur.

Dans un courriel, la SCHL se défend en disant que 40 jours entre le lancement des demandes de propositions et la date de clôture «cadre avec les normes de l'industrie».

Une vente pressée

Au moins un promoteur à qui nous avons parlé ne partage pas l'opinion de la SCHL. «On nous demande de sortir 8 millions pour un immeuble qui a presque 150 ans. Il faut avoir le temps de l'inspecter. La vente se fait telle quelle», souligne l'investisseur, qui préfère garder l'anonymat. D'après lui, la SCHL aurait dû laisser au moins 90 jours.

Construit en 1874-1875, l'immeuble a fait partie de l'ensemble des magasins des soeurs Grises. On y a retrouvé une variété d'occupants jusqu'aux années 60. L'immeuble a été graduellement abandonné par la suite. La SCHL s'en est portée acquéreur en 1977 et l'a converti en immeuble à vocation mixte.

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LES COURS SAINT-PIERRE EN CHIFFRES

> Quatre étages, 45 logements locatifs et 10 locaux commerciaux.

> Revenus annuels approximatifs de 500 000$ pour les baux commerciaux et 470 000$ pour les baux résidentiels.

> Loyer moyen de 712$ pour un studio d'environ 600 pieds carrés; 900$ pour les 31 appartements de 1 chambre et de 1035$ pour les 4 unités de deux chambres.

> Sept logements bénéficient d'une réduction de loyer. Rien dans la demande de propositions ne garantit le maintien de ces logements sociaux.