Une crise à l'américaine? Une première baisse de prix depuis 1996? Des hausses modestes? Les experts ne s'entendent pas sur le sort que nous réserve le marché immobilier à Montréal et au Québec. Alors que la boule de cristal n'a jamais été aussi embrouillée, chaque clan a des arguments convaincants. Analyse des trois scénarios privilégiés par les experts.

SCÉNARIO 1

 

Baisse importante des prix

 

PRIVILÉGIÉ PAR

 

> Banque Laurentienne: -10% sur 2 ans (2013-2014, indice BN-Teranet)

 

> Banque Nationale: -3% à -5% en 2013, -1% à -3% en 2014 (Montréal, indice BN-Teranet)

 

> Hanson Advisors: -5% en 2013, autre baisse en 2014 (Montréal, prix médian)

 

> Fitch: surévaluation théorique de 26% au Québec

 

> The Economist: surévaluation théorique de 34% au Canada (ratio prix/revenu)

 

Que le marché immobilier montréalais n'ait pas connu de baisse annuelle de prix depuis 1996 importe peu à Carlos Leitao, économiste en chef de la Banque Laurentienne. «Il y aura un ajustement important, car il y a un ralentissement trop prononcé de la demande, dit-il. Nous pensions que le ralentissement commencerait en 2012 avec des prix qui stagnent, mais ça n'a pas été le cas.» La Banque Nationale croit aussi à un recul significatif des prix pour les deux prochaines années. «Le marché deviendra clairement favorable aux acheteurs. En 10 ans, le prix des maisons ne devrait pas s'apprécier plus que l'inflation», dit Marc Pinsonneault, économiste à la Banque Nationale. «Je garantis une baisse à 100%, car Montréal est le pire marché immobilier au pays actuellement», dit Ben Rabidoux, analyste à la firme torontoise Hanson Advisors, qui a comme clients des investisseurs institutionnels. Selon lui, les difficultés du marché immobilier affecteront davantage que prévu l'économie canadienne. «On oublie que l'économie canadienne dépend beaucoup de l'immobilier et du secteur de la construction: 7,3% des emplois sont actuellement liés à la construction, comparativement à une moyenne historique d'environ 5%», dit-il.

 

LES RAISONS

 

1. Trop de maisons à vendre

 

«Il y a un stock incroyable de maisons en revente à Montréal - 32 000 maisons, de loin un sommet historique - et le nombre de ventes est en baisse de 25% par rapport à l'an dernier, dit l'analyste Ben Rabidoux. Au Canada, nous avons bâti trop de maisons au cours de la dernière décennie (210 000 maisons par année alors qu'il n'en fallait que 180 000).»

 

2. Endettement record

 

À 166,7, le ratio dette/revenu net des Canadiens est actuellement au niveau le plus élevé de son histoire (il était de 108,3 en 2011). Avec un ratio de 160, les Américains ont connu une crise immobilière (leurs dépenses en santé ne sont toutefois pas comptabilisées dans le revenu net, contrairement au Canada). «Le gros problème, c'est que le marché immobilier a été alimenté par l'allégement de l'accès au crédit et à l'endettement, dit l'analyste Ben Rabidoux. Les gens se sentent plus riches et dépensent plus. Jadis, on se moquait des Américains qui se servaient de leur maison comme d'un guichet ATM. Nous faisons la même chose qu'eux avant la crise.»

 

3. Des maisons surévaluées

 

L'agence de notation Fitch estime que le prix des maisons est surévalué de 26% au Québec selon sa nouvelle formule pour l'immobilier canadien mise au point au début du mois. Traduction: le prix des maisons baissera de 26% à long terme seulement si tous les facteurs économiques en jeu (ex: taux d'intérêt, ratio valeur de la maison/revenu annuel) reviennent un jour à leur moyenne historique. «Nous ne pouvons pas prédire quand, ni à quelle vitesse les ajustements auront lieu, s'ils ont lieu. C'est très difficile à prédire. Une correction est possible, mais probablement ^pas comme celle que viennent de connaître les États-Unis», dit Vanessa Purwin, directrice principale de l'agence Fitch, qui avance le chiffre non officiel d'une baisse de prix de 15% en cinq ans. Le magazine The Economist, lui, estime que la valeur des maisons au Canada est surévaluée de 34% par rapport au revenu des Canadiens.

 

 

SCÉNARIO 2

Baisse modeste des prix

PRIVILÉGIÉ PAR

> Banque Royale: -1,3% en 2013, -1,5% en 2014 (le Québec, unifamiliale, prix médian)

> BMO Groupe Financier: -1% en 2013, "0,5% en 2014 (le Québec, prix moyen)

> TD: -1% en 2013, -1% en 2014 (Montréal, prix moyen)

> Banque Scotia: baisse modeste non chiffrée en 2013

Selon plusieurs institutions financières, les propriétaires québécois devront se faire à l'idée: il y aura une légère baisse du marché immobilier au cours des deux prochaines années. «Il s'agit de légères baisses dans un contexte où l'économie et l'emploi continuent de croître, dit Robert Hogue, économiste à la Banque Royale. S'il survient de mauvaises nouvelles en provenance de l'Europe ou des États-Unis, ça pourrait frapper plus fort.» La Banque Scotia prévoit une baisse modeste ou au mieux une stagnation des prix au cours des prochaines années. «Ça pourrait aller jusqu'à une baisse de 5% sur plusieurs années», dit l'économiste Adrienne Warren. Note importante: pour les deux premiers mois de 2013, le prix des maisons unifamiliales s'est apprécié de 2% et celui des condos est resté stable. «Ce n'est donc pas impossible de voir une baisse de 3% d'ici la fin de l'année», dit Robert Kavcic, économiste de BMO Groupe Financier, qui prévoit une baisse de 1% en 2013.

LES RAISONS

1. Des maisons trop chères pour les salaires

Non, Montréal n'est pas aussi inabordable que Vancouver et Toronto, mais l'économiste Diana Petramala s'inquiète tout de même de la hausse du ratio valeur d'une maison/revenu des ménages au cours de la dernière décennie. «Montréal est l'un des marchés les plus sensibles à une baisse actuellement, notamment parce que le ratio valeur d'une maison/revenu est passé de 3,1 en 2002 à 5,3 en 2012», dit l'économiste à la Banque TD. Le ratio est actuellement de 6 à Toronto et 10 à Vancouver.

2. Vers un marché d'acheteurs

«Il y a trop de maisons à vendre, dit Adrienne Warren, économiste à la Banque Scotia. Nous nous dirigeons vers un marché d'acheteurs vers la fin de l'année 2013 et en 2014. Certains vendeurs pourraient ensuite retirer leur maison du marché, ce qui ramènerait l'équilibre.»

3. La faute des condos

Si le prix de l'immobilier descend, c'est beaucoup à cause des condos, qui comptent pour environ le tiers des ventes immobilières au Québec. «Le condo baissera davantage que la maison unifamiliale», dit Robert Kavcic, économiste de BMO. Même le Mouvement Desjardins, qui croit à une hausse globale du marché immobilier en 2013, craint une baisse du prix des condos à moyen terme si la construction de nouveaux condos ne ralentit pas. «Dans le condo, ce serait dur de passer outre une baisse de 5% en trois ans si la construction ne ralentit pas», dit l'économiste Hélène Bégin.

4. Catastrophe évitée grâce aux taux d'intérêt

L'économiste Robert Hogue écarte le scénario d'une baisse supérieure à 10% sur plusieurs années. «Ces calculs-là ne tiennent pas compte des taux d'intérêt très bas, et on ne s'attend pas à ce que la Banque du Canada augmente son taux directeur avant le milieu de 2014, dit-il. On entend parfois que les maisons sont surévaluées de 25% selon certains critères, mais le marché peut rester surévalué en théorie pendant un bon bout de temps avant qu'il n'y ait un effet sur les prix.»

SCÉNARIO 3

Hausse des prix

PRIVILÉGIÉ PAR

> Fédération des chambres immobilières du Québec: "2% pour les maisons (le Québec et Montréal), "1% pour les condos à Montréal (prix médian)

> Desjardins: "2,2% en 2013, "2,5% en 2014 (le Québec et Montréal, prix moyen pondéré)

> SCHL: "1,3% en 2013, "1,9% en 2014 (le Québec, prix moyen)

Même les plus optimistes en conviennent: la folie des années 2000 ("17% en 2003!) est derrière nous. Mais le marché immobilier devrait continuer de prendre de la valeur à peu près au rythme de l'inflation. «Le marché du Québec est plus stable qu'ailleurs au pays, dit Hélène Bégin, économiste au Mouvement Desjardins. Ça prendrait un choc puissant - une hausse importante des taux d'intérêt ou une baisse importante de l'emploi - pour faire diminuer les prix. Au Canada, le prix des maisons a baissé de 10% durant la récession, mais il a continué d'augmenter au Québec, où le marché immobilier est moins spéculatif.» «On croit qu'avec une légère reprise de l'économie et du marché de l'emploi, la tendance générale sera à la hausse», dit Kevin Hugues, économiste pour le Québec à la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

LES RAISONS

1. Un marché neutre

«Avant de prévoir des baisses de prix, il faudrait basculer dans un marché à l'avantage des acheteurs et le marché est relativement équilibré actuellement», dit Paul Cardinal, économiste à la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ). Qu'est-ce qu'un marché équilibré (autrement dit, un marché neutre)? Un ratio de 8 à 10 maisons à vendre par maison vendue. En bas d'un ratio de 8, le marché avantage les vendeurs. En haut de 10, ce sont les acheteurs qui sourient. Actuellement, le ratio est de 8 pour les maisons unifamiliales et 10 pour les condos, selon la FCIQ.

2. Les taux hypothécaires ne vont nulle part

«Ça fait quelque temps déjà que les experts prévoient des hausses de taux et ça ne s'est pas produit, dit Paul Cardinal, économiste à la Fédération des chambres immobilières du Québec. Une hausse drastique après le milieu de 2014 serait dommageable pour le marché immobilier, mais pas une hausse graduelle.»

3. Si l'histoire se répète...

Il faut remonter à 1996 pour trouver la dernière baisse de prix à Montréal. Et le contexte était fort différent. «Les taux hypothécaires et le taux de chômage étaient supérieurs à 10%, et il y avait un trop grand stock de maisons disponibles», rappelle Hélène Bégin, économiste au Mouvement Desjardins.

4. Endettement élevé, mais de meilleure qualité

Soit, le niveau d'endettement au Canada est plus élevé qu'avant la crise immobilière américaine, mais l'économiste Paul Cardinal ne s'en inquiète pas. «Le contexte est différent. Aux États-Unis, on a prêté trop d'argent à des gens qui n'avaient pas un bon dossier de crédit et ce qui devait arriver arriva. Au Québec, il y a actuellement une reprise par 1100 maisons, comparativement à 1 sur 45 aux États-Unis en 2010, selon RealtyTrac.»