Après 20 ans d'abandon et plusieurs tentatives de relance avortées, le squelette de béton situé derrière l'ancienne Banque Royale de la rue Saint-Jacques, dans le Vieux-Montréal, a repris vie discrètement le mois dernier.

Le promoteur Pur Immobilia a commencé les travaux pour bâtir des condos dans cette structure de 16 étages érigée à la fin des années 80, mais jamais achevée. «On a 25 employés sur le chantier en ce moment, et ça va monter à 80 plus tard cet automne», a indiqué Philippe Bernard, président du groupe, rencontré hier sur le chantier.

Pur Immobilia érigera 43 appartements luxueux dans ce projet appelé Bank. La prévente a démarré en novembre 2011, et l'entreprise a franchi au printemps le seuil de 60% nécessaire au lancement des travaux. Le chantier est pour le moment invisible lorsqu'on passe devant la façade de l'ancienne banque.

Histoire abracadabrante

L'histoire de ce projet est rocambolesque. À la fin des années 80, l'homme d'affaires montréalais Henri Paquin a racheté l'immeuble construit en 1907 en vue d'en faire un vaste hôtel.

Dès le départ, les plans prévoyaient d'intégrer la façade de style néo-classique au nouvel édifice.

Or, M. Paquin est mort en 1988 avant d'avoir pu mener ses plans à terme, assassiné dans l'explosion de sa voiture. Les funérailles de cet entrepreneur très en vue ont attiré plus de 800 personnes.

Le projet a par la suite été repris par le Groupe Longpré, de Laval. Une aventure elle aussi de courte durée. «On a racheté pour se rendre compte au bout de six mois, un an, que ce n'était pas dans nos cordes», rappelle le président, Pierre Longpré, joint hier par La Presse Affaires.

Le Group Cytren a racheté en 1989 la participation de Longpré dans le but de relancer le projet, qui s'appelait alors Hôtel Le Palais. Rien n'a cependant bougé et la structure vide de 16 étages est demeurée comme une cicatrice dans le paysage du Vieux-Montréal.

Une décennie plus tard, en 2000, le nouveau propriétaire des lieux, Aquillini, a indiqué son intention de bâtir environ 90 appartements-hôtels sur l'emplacement, rapportent les archives du journal Les Affaires. Le complexe devait être inauguré en 2001, mais il ne s'est jamais réalisé.

Chantier complexe

C'est finalement Pur Immobilia qui redonnera vie à cet emplacement névralgique. Le groupe montréalais a racheté le projet d'Aquillini il y a deux ans pour un peu plus de 4 millions de dollars. La structure était alors à 80% complétée, indique Philippe Bernard.

Si le squelette de béton a bien résisté à l'épreuve du temps et des intempéries, il n'en a pas moins posé un sérieux casse-tête aux architectes mandatés par Pur Immobilia. «C'est un site qui présente beaucoup de défis pour la construction, avec la structure existante, dit M. Bernard. C'est un peu plus compliqué que d'acheter un terrain gazonné à Brossard!»

Des spécialistes en coffrage de béton s'affairent ces jours-ci à adapter la structure aux nouveaux plans de Pur Immobilia. Une coquille de verre sera par la suite érigée, et les équipements mécaniques, comme la ventilation et les ascenseurs, commenceront à être installés cet automne. La façade de l'ancienne banque sera conservée et restaurée.

Philippe Bernard qualifie son projet de «condos-boutiques», puisqu'il ne compte beaucoup moins d'unités que certains complexes environnants. À l'heure actuelle, 26 des 43 appartements ont trouvé preneur. Tous ces acheteurs comptent habiter les lieux, à l'exception d'un investisseur étranger, a-t-il dit.

Héritage Montréal satisfait

Dinu Bumbaru, directeur des politiques de l'organisme de défense du patrimoine Héritage Montréal, se réjouit de la relance du chantier - et surtout de l'intégration de la façade historique.

Selon lui, le délai de plus de 20 ans écoulé avant qu'un projet concret ne démarre sur cet emplacement est la preuve que les arrondissements octroient trop facilement les permis aux promoteurs. «Ça devrait inciter les autorités à faire preuve de plus de vigilance», fait-il valoir.

M. Bumbaru rappelle qu'Héritage Montréal a contribué à la sauvegarde in extremis des quatre statues qui ornaient la façade de l'ancienne Banque Royale. Plutôt que d'être vendues aux États-Unis, comme cela était prévu, elles ont été restaurées et se trouvent aujourd'hui au Centre d'archives de Montréal.