Les environs immédiats du magasin Ogilvy, en plein centre-ville de Montréal, devraient changer radicalement de visage d'ici quelques années. Des promoteurs veulent y construire un hôtel, une centaine de condos et plusieurs nouveaux commerces. Un projet de 150 millions qui entraînera aussi la destruction d'une institution de la rue Crescent. Portrait d'un quadrilatère à la croisée des chemins.

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Après 12 ans au pub Thursday's, Caroline Poitras a appris avec stupéfaction la disparition prochaine de son emploi. Le bâtiment où se situe cette populaire institution de la rue Crescent sera détruit, comme plusieurs immeubles des environs immédiats, pour faire place à un vaste projet immobilier.

«Quand on l'a appris il y a un mois, ç'a été une onde de choc, raconte la gérante de l'établissement. Il y a des clients qui pleuraient. Depuis, tout le monde nous raconte son histoire du Thursday's: il y en a qui ont fait leur demande en mariage ici, d'autres sont venus célébrer leur divorce...»

Environ 250 employés se retrouveront sans travail une fois que la brasserie et l'hôtel de la Montagne adjacent seront passés sous le pic des démolisseurs. «Je veux rester jusqu'à la toute fin, c'est une partie de ma vie qui s'en va», dit Caroline Poitras avec un sourire empreint de nostalgie.

Le quadrilatère compris entre les rues Sainte-Catherine, Crescent, de la Montagne et le boulevard De Maisonneuve est appelé à changer radicalement de visage d'ici quelques années. Un consortium formé de Selfridges Group Ltd (nouveau propriétaire du magasin Ogilvy), Devimco et du Fonds immobilier de solidarité FTQ y planifie un vaste complexe commercial et résidentiel de 150 millions de dollars.

Tout le projet gravite autour de la Maison Ogilvy, fondée en 1866 à Montréal. Les plans prévoient un agrandissement massif du prestigieux grand magasin, ce qui alimente de fortes rumeurs d'un déménagement du Holt Renfrew, aussi propriété de Selfridges, dans les nouveaux locaux (voir autre texte).

Selon les devis déposés par les promoteurs à l'arrondissement de Ville-Marie, le projet ajoutera 35 000 pieds carrés de surface commerciale au magasin Ogilvy, ainsi qu'un hôtel de 120 chambres et 100 appartements en copropriété. Un stationnement sous-terrain de 400 places est également prévu.

Un projet complexe

Le chantier s'annonce d'une rare complexité. Il viendra s'imbriquer dans un quadrilatère déjà densément bâti, et entraînera la destruction de plusieurs bâtiments dont certaines façades devront toutefois être conservées. L'hôtel de la Montagne, immeuble de 20 étages à l'allure soviétique, sera démoli, de même que les immeubles situés entre les 1421 et 1449, rue Crescent.

Le projet nécessite plusieurs dérogations aux règlements municipaux. À ce stade-ci, il a déjà subi plusieurs modifications architecturales imposées par le comité consultatif d'urbanisme. Les constructeurs seront notamment obligés d'utiliser de la pierre naturelle comme matériau de revêtement.

Les responsables de l'urbanisme à l'arrondissement de Ville-Marie se montrent favorables au projet ainsi qu'aux dérogations demandées. Cette proposition «permet de faire revivre ce tronçon de la rue de la Montagne avec l'ajout de plusieurs vitrines et accès piétonniers, écrivent-ils dans un sommaire décisionnel. Du côté de la rue Crescent, l'intervention rehausse fortement le caractère commercial et convivial de l'ensemble».

Le projet a été approuvé en deuxième lecture par le conseil de l'arrondissement et il «suit son cours», a indiqué Anik de Repentigny, porte-parole de Ville-Marie. Une demande de participation à un référendum a été publiée le week-end dernier pour que les citoyens puissent se prononcer s'ils le souhaitent.

Promoteur déterminé

Chose certaine, le consortium dirigé par Selfridges apparaît bien déterminé à aller de l'avant. Le groupe se fait avare de détails pour le moment, mais confirme que des ententes ont déjà été conclues avec le propriétaire du Thursday's et de l'hôtel de la Montagne en vue de leur démolition. La fermeture des établissements devrait survenir à l'automne.

«C'est clair que le fait qu'on soit rendus à cette étape-là, de demander des autorisations, c'est parce que le projet est sérieux, a fait valoir le porte-parole du consortium, Jean-Sébastien Lamoureux. Est-ce qu'il est dans une forme finale? C'est sûr qu'il reste plusieurs éléments à déterminer. Mais ça témoigne du sérieux et de l'intérêt de tous les partenaires d'aller de l'avant avec le projet.»

Si le Thursday's continue ses activités pour encore quelques mois, au moins un commerce a déjà fermé ses portes en prévision du chantier, a constaté La Presse Affaires. Le restaurant Cartel, situé au 1433, rue Crescent, a placé une note dans sa vitrine expliquant son déménagement en raison des «changements urbains» annoncés en avril. Les autres marchands poursuivent pour le moment leurs activités de façon normale.

Le projet, s'il se concrétise, permettra par ailleurs de combler deux parcelles de terrain vacantes - un objectif que poursuit la ville centre avec vigueur depuis quelques années. La tenue possible d'un référendum et les conclusions de cet exercice seront déterminantes pour la suite des choses.

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EN CHIFFRES

150 millions (investissement prévu)

100 condos

120 chambres d'hôtel

35 000 pi2 de commerces

400 places de stationnement sur 7 niveaux souterrains

Le projet entraînera la destruction de plusieurs établissements, dont l'hôtel de la Montagne et le bar Thursday's.