Les constructeurs de maisons s'attaquent à un sujet tabou et demandent le dézonage d'une partie des terres agricoles de la région montréalaise.

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L'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ) a fait cette sortie hier matin, à quelques mois de l'adoption d'un nouveau plan d'aménagement du territoire. Ce plan prévoit un gel du périmètre urbain pour cinq ans dans la région métropolitaine, qui rendra beaucoup plus difficile l'érection de nouvelles propriétés en banlieue.

«En quoi cela cause-t-il un problème? La réponse est simple: cela se traduira par une pénurie de terrains disponibles pour de nouveaux développements», a lancé Marc Savard, directeur général de l'APCHQ à Montréal, pendant une conférence de presse.

Le plan proposé par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) ratisse large. Il vise à structurer le développement de la grande région de Montréal pour les 20 prochaines années en favorisant les transports en commun et la densification des projets immobiliers. La CMM prévoit que 530 000 nouveaux habitants s'installeront dans la métropole d'ici 2031, l'équivalent de 320 000 ménages qui devront trouver un logis.

Le plan fera l'objet de consultations au cours des prochaines semaines avant son adoption d'ici au 31 décembre. Il sera réévalué dans cinq ans, d'où le gel sur le dézonage proposé par la CMM. Plusieurs villes de la banlieue nord ont déjà fait connaître leur mécontentement et estiment que ce gel freinera sec leur essor.

«Cette pénurie de terrains est déjà un enjeu bien réel avec lequel deux MRC doivent composer, a fait valoir Marc Savard. En effet, les MRC de l'Assomption et de Thérèse-De Blainville sont déjà pratiquement en pénurie, et d'ici trois ans, trois territoires supplémentaires franchiront ce seuil.»

5% des terres

À l'heure actuelle, 58% du territoire de la communauté métropolitaine -soit 2205 km2 - est désigné zone agricole. Selon l'APCHQ, les constructeurs pourraient répondre à la demande en nouvelles habitations pendant 20 ans en utilisant seulement 5% des terres en friche ou inexploitées.

Cette demande de dézonage scandalise au plus haut point le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA), Christian Lacasse. «L'étalement urbain, il va falloir que ça cesse! a-t-il lancé à La Presse Affaires. Ça fait des années qu'on en parle, c'est incroyable de vouloir empiéter encore sur les zones cultivables!»

M. Lacasse souligne qu'une infime portion des terres agricoles sont actuellement en friche. Un peu plus de la moitié sont cultivées (51%), tandis que 21% sont recouvertes de boisés et que 19% ne sont pas caractérisées (en raison de la présence de milieux humides ou de sablières, par exemple). Les terres cultivables inutilisées représentent seulement 3% du total.

«On traverse une période plus difficile en agriculture, et dans ces périodes-là, il y a des sols qui momentanément vont être en friche, a souligné M. Lacasse. Quand les marchés vont être plus en croissance, ces sols-là vont être réutilisables.»

Selon la CMM, la région métropolitaine dispose encore de près de 160 km2 de terrains situés en «zone blanche» (102 km2 en secteur résidentiel et 58 km2 en territoire commercial ou industriel), où la construction est permise. Cette quantité sera suffisante pour assurer le développement des 20 prochaines années, assure François Desrochers, conseiller en recherche à la CMM.

M. Desrochers reconnaît toutefois que certaines villes n'ont presque plus de terrains disponibles, puisque ce bloc de 160 km2 n'est pas réparti de façon égale entre les 82 municipalités qui forment la CMM. Il affirme que la Communauté métropolitaine prendra leur situation en considération pendant les débats des prochaines semaines.

«On ne dit pas qu'on ne va pas regarder les situations de point de rupture, a-t-il indiqué. Mais ce qu'on dit, c'est que globalement, quand on regarde les espaces, en faisant un effort de densification, on pense qu'on peut jouer dans notre zone blanche.»

Plus de densification

L'APCHQ estime pour sa part que ce gel ne favorisera pas automatiquement la densification des villes centrales. Au contraire, il permettra aux petites municipalités situées en lisière du territoire de la CMM d'attirer la majeure partie des nouveaux projets résidentiels, ce qui accentuera le problème d'étalement urbain, fait valoir l'Association.

La rareté des terrains au sein de la CMM contribuera en outre à pousser à la hausse les prix de l'immobilier, après les augmentations déjà salées de la dernière décennie, soutient l'APCHQ.

Le plan d'aménagement proposé par la CMM prône le remplacement des maisons unifamiliales par des habitations multiples, un phénomène déjà bien enclenché dans la grande région de Montréal depuis des années. Les condos et appartements représentaient 63% des mises en chantier en 2009, un bond marqué par rapport aux 42% de 2002.

L'architecte Anik Shooner, dont le cabinet a conçu la tour Louis-Bohème au centre-ville, et qui planche sur l'immense complexe des Bassins du Havre, prône une densification encore plus grande et une mixité des usages.

«Côté développement durable, on ne peut pas aller détruire des terres agricoles pour construire, a fait valoir l'architecte. On veut se servir des terrains qui sont déjà denses, on veut garder les gens en ville dans des endroits qui sont déjà densifiés. Il y a un paquet de stationnements de surface, c'est ridicule. Tous ces terrains-là sont disponibles, pour être construits.»

Près de 400 mémoires ont été déposés dans le cadre des consultations entourant le nouveau plan d'aménagement de la CMM. Les assemblées publiques se tiendront jusqu'au 21 octobre, et la Commission compte déposer un rapport en novembre. Le plan final sera adopté d'ici la fin de 2011.

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COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL

TERRITOIRE TOTAL :

4360 km2

TERRES ZONÉES AGRICOLES :

2205 km2

TERRES CULTIVÉES :

1100 km2

Source : CMM

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% DU TERRITOIRE EN ZONAGE AGRICOLE*

Montréal 4,1%

Laval 29,4%

Longueuil 33,3%

Couronne Nord 70%

Couronne Sud 73,4%

Région métropolitaine 57,5%*

* Pourcentage par rapport à la surperficie terrestre.

Source : CMM