Les locataires de bureaux de Montréal commencent à se disperser. L'absence de vastes locaux disponibles au centre-ville et la concurrence des anciens mastodontes industriels, convertis en bureaux bon marché, contribuent au phénomène.

Au moins un courtier craint que les chantiers à venir de l'échangeur Turcot et du pont Champlain viennent accentuer cette tendance au cours des prochaines années.

En 2010, neuf pieds carrés sur dix parmi les bureaux en location ont été loués en dehors du coeur du centre-ville, souligne Stephen Léopold, courtier de grande renommée qui occupe la présidence du conseil d'Avison Young, à Montréal.

M. Léopold a pris la parole récemment au cours d'une conférence sur la location immobilière. Il faisait le point sur l'absorption des bureaux dans la dernière année à Montréal.

Règle générale, l'absorption est calculée en soustrayant le total de pieds carrés occupés à la fin de la période de référence, dans ce cas-ci l'année civile 2010, et les pieds carrés occupés au début de celle-ci.

Selon les chiffres cités de M. Léopold, le marché de la région montréalaise avait absorbé 1,2 million de pieds carrés en 2010. De ce nombre, seulement 132 493 pieds carrés étaient situés au coeur du centre-ville. Un million de pieds carrés représentent la location au complet d'un édifice de la taille du 1000, De la Gauchetière.

Le coeur du centre-ville est surtout occupé par le milieu des affaires. Ou, en gros, le boulevard René-Lévesque, l'avenue McGill College, la tour de la Bourse et tout ce qui se trouve entre De la Gauchetière et Sherbrooke et entre Peel et le boulevard Saint-Laurent.

Selon cette définition, la Cité multimédia, la Cité électronique, le square Victoria, le Vieux-Montréal, le Quartier international, Griffintown, le complexe Alexis-Nihon et la Place Dupuis ne font pas partie du coeur du centre-ville.

Peu de grands locaux au centre-ville

Le principal facteur derrière ce phénomène est la rareté de grands locaux disponibles dans les tours de bureaux du centre-ville. Dans les plus beaux immeubles du centre-ville, les immeubles dits de catégorie A, on les compte sur les doigts des deux mains.

«Un locataire d'envergure qui recherche 50 000 pieds carrés au centre-ville, c'est extrêmement difficile, convient Louis Burgos, premier vice-président du courtier Cushman&Wakefield, à Montréal. C'est la même chose pour le locataire qui veut prendre de l'expansion. On se doit de regarder à l'extérieur du centre-ville.»

Le phénomène va s'accentuer au cours des 18 à 24 prochains mois, d'après lui, car les taux d'inoccupation continueront de baisser. «Le marché est sur le point de tourner à l'avantage des propriétaires, pour la première fois en 20 ans», dit-il. Ce vétéran de la scène immobilière s'attend à une forte activité de location de bureaux à l'extérieur du centre-ville, dans l'île comme en banlieue, pour au moins les deux prochaines années.

Jusqu'à présent, Kevric a annoncé la construction d'une nouvelle tour au square Victoria. Environ 250 000 pieds carrés seront loués en bureaux. Une goutte d'eau dans l'inventaire des immeubles de bureaux. Dans le quadrilatère formé par l'avenue Atwater, le boulevard Saint-Laurent, le Vieux-Montréal et la rue Sherbrooke, on dénombre 50 millions de pieds carrés de bureaux, de dire M. Burgos.

Brett Miller, patron du bureau montréalais du courtier CB Richard Ellis, a lui aussi constaté le mouvement de certains locataires hors centre-ville, mais n'y voit pas de tendance. «Il y a bien quelques déménagements du centre-ville pour les projets lofts, mais je ne vois pas de grands mouvements dans cette direction», dit-il.

Parmi ces déménagements, il y a le siège social d'AbitibiBowater qui va quitter le prestigieux Édifice Sun Life, angle Metcalfe et René-Lévesque, pour s'installer dans la Cité Multimédia, au sud de la ville.

Les studios Warner ont loué à la Place Dupuis, à l'extrémité est du centre-ville. La société CGI est partie de la Cité Multimédia pour aller au nord, au 5800, rue Saint-Denis, un ancien immeuble industriel converti en bureaux-lofts, au métro Rosemont.

Selon un décompte de la firme de services-conseils Altus, il existe 80 édifices lofts sur le territoire montréalais, représentant 19 millions de pieds carrés. Plusieurs de ceux-ci sont situés dans le quartier Chabanel et sont contrôlés par le groupe Dayan.

Turcot et Champlain

Pierre Houle, vice-président principal de Colliers, craint que l'on n'ait encore rien vu en ce qui a trait à la migration des locataires. Les travaux à venir sur l'échangeur Turcot et le pont Champlain «risquent de tuer le centre-ville», soutient-il.

On a déjà un avant-goût de ce qui va se passer avec la fermeture de plusieurs voies en direction de l'autoroute 20 Ouest, selon lui. «Un locataire dont le bail se termine aujourd'hui aime mieux (l'arrondissement de) Saint-Laurent, Laval et la Rive-Sud, c'est là où les locataires vont aller. Je n'ai pas encore d'exemples à donner, mais ça s'en vient.»

D'ailleurs, il s'est construit plus de bureaux à Brossard que partout ailleurs dans la région montréalaise dans la période de 12 mois qui s'est terminée au 31 mars 2011, a souligné le Groupe Altus.