Principal rendez-vous de l'industrie canadienne, le 40e Salon canadien de l'ameublement résidentiel a ouvert ses portes samedi. Déterminés, mais réalistes, les fabricants québécois se sont déplacés à Toronto tout en sachant que les consommateurs resteront prudents en 2012.

Résilients, les manufacturiers ont adapté leur modèle d'affaires à la concurrence chinoise en misant sur la rapidité de la livraison et la personnalisation des produits. Ce qui ne s'est pas fait sans heurts: l'industrie a perdu 10 000 emplois au Québec depuis 2003.

«Le sentiment ambiant au salon est mixte, dit Jean-François Michaud, PDG de l'Association des fabricants de meubles du Québec (AFMQ). L'année 2012, c'est un point d'interrogation. La seconde moitié de 2011 a été plus intéressante que la première. On sent une certaine reprise aux États-Unis depuis septembre.»

Craintifs, les détaillants américains préfèrent réduire leurs stocks, quitte à commander auprès de producteurs nord-américains, plutôt que de courir le risque de se trouver avec un conteneur de meubles chinois invendus, d'expliquer M. Michaud. L'inflation en Asie et la hausse du prix du carburant contribuent aussi à ce début de retour du balancier.

«On s'attend à une bonne réaction de la part des détaillants à l'exposition de Toronto, dit Sophie Drouin, directrice Marketing de Meubles South Shore, de Sainte-Croix de Lotbinière, qui y a présenté une nouvelle gamme de bassinettes. Les temps sont difficiles pour les détaillants, ils n'ont pas le choix d'essayer des nouveautés et des promotions pour créer de l'intérêt chez le consommateur.»

Le marché immobilier américain est pris dans le bourbier. La vigueur du marché intérieur canadien, qui a sauvé la mise pour les fabricants de meubles de 2007 à 2010, montre des signes d'essoufflement depuis. Les organismes de référence en matière d'habitation s'attendent d'ailleurs à une croissance modeste des mises en chantier en 2012 et l'endettement croissant des consommateurs canadiens en inquiète plus d'un.

Les ventes tardent

KubasPrimedia, firme d'experts-conseils spécialisée en commerce de détail, anticipe des ventes de meubles de l'ordre de 10 milliards au Canada en 2012, un chiffre en légère croissance par rapport à 2011, mais néanmoins inférieur au niveau des ventes d'avant la récession de 2008.

À 325 millions de dollars au premier semestre 2011, la valeur des livraisons des fabricants était quant à elle en baisse de 9%, selon les données de Statistique Canada, citées par l'AFMQ.

Les manufacturiers de meubles «fabriqués au Québec» en ont vu d'autres. Ils ont dû surmonter une succession d'embûches depuis le début des années 2000 avec la récession américaine et la montée du huard. On se souvient des déboires de Shermag, dont les actifs et la marque ont été rachetés par Bermex, de Maskinongé. D'autres sont disparus comme Meubles Laurier, de Laurier-Station, et Morigeau-Lépine, près de Montmagny. Le 27 juin dernier, c'était au tour de Meubles Villageois, de Beauce, de déposer son bilan.

Ce serait pourtant une erreur de croire que l'industrie québécoise est condamnée, si on se fie à Jean-François Michaud. Les fabricants sont même en bonne position pour profiter de la reprise lorsque l'immobilier américain sortira de sa torpeur, d'après lui. «Le tissu manufacturier nord-américain a diminué considérablement ce qui laisse de la place pour nos manufacturiers», dit le porte-parole de l'industrie.

Ventes en ligne

Comment les fabricants québécois se positionnent-ils pour tirer leur épingle du jeu? Chez Meubles Rive-Sud, on a ajusté les processus d'affaires pour vendre et livrer à domicile des produits prêts à assembler sur les sites transactionnels des grands magasins comme Target.com, Walmart.com et les détaillants internet tel amazon.com. «Contrairement au segment des détaillants traditionnels de meubles où c'est difficile, le segment du commerce en ligne connaît une croissance, explique Mme Drouin. Les gens se tournent vers ça, en particulier aux États-Unis.» Aujourd'hui, le fabricant qui compte trois usines et un peu plus de 700 employés vend davantage par internet que dans les magasins.

Canadel, de Louiseville, fabricant de moyen et de haut de gamme, a équipé les vendeurs des magasins de meubles d'outils informatiques pour faciliter la personnalisation de ses ensembles de cuisine, la marque de commerce du fabricant de 500 employés de la Mauricie. Le même outil est disponible au grand public via le site web de Canadel.

«Il y a plusieurs numéros de produit à retenir dans une commande personnalisée, souligne Guy Deveault, son président. En y allant en ligne, c'est visuel. Le client voit les couleurs, les tissus, les formes, les pattes les bases de table. Visuellement, le client crée son ensemble et la formule s'écrit en haut toute seule. Ça facilite le travail des vendeurs sur le plancher des magasins», explique-t-il.

Au Groupe Dutailier, de Saint-Pie de Bagot, on a concédé le marché de la berceuse sur billes en bois aux Asiatiques - où il régnait jadis en roi et maître - pour se recentrer sur le fauteuil berçant, plus sophistiqué. «On fait maintenant des produits de moyen et de haut de gamme», dit Roch Bilodeau, vice-président finances. Au terme de ce virage qui s'est négocié sur plusieurs années, des usines ont été fermées (notamment à Sainte-Anne-de-la-Pérade) et le nombre d'employés a été réduit des deux tiers. Aux dires même du responsable des finances, l'entreprise, qui réalise 60% de ses ventes aux États-Unis, doit se battre très fort pour faire des profits.

«Juste avoir une stabilité dans le marché américain - je ne parle même pas de croissance -, ça nous permettrait enfin de souffler», dit M. Bilodeau, qui n'ose pas espérer le répit avant 2013, soit après l'élection présidentielle américaine.