C'est une nouvelle facette d'un débat brûlant: la flambée des inégalités aux États-Unis a remis sur le devant de la scène le rôle des syndicats, dont le déclin aurait accéléré la concentration des richesses dans le pays.

Le président Barack Obama a lui-même allumé la mèche en dénonçant lundi une offensive «soutenue et concertée» contre les syndicats qui aurait pour effet de freiner mécaniquement la progression des bas salaires.

«Ce n'est pas un hasard si l'émergence de la classe moyenne aux États-Unis a coïncidé en grande partie avec celle des syndicats, des travailleurs qui s'unissaient pour de plus hauts salaires», a argumenté le chef d'État démocrate qui réagissait aux mesures antisyndicales prises dans certains États dirigés par les républicains.

Le déclin du taux de syndicalisation n'est pas propre aux États-Unis, mais il y a atteint des proportions quasiment sans équivalent: il a été divisé par deux depuis 1983 pour s'établir à 11,1%, contre près de 17% dans les pays industrialisés de l'OCDE.

Victime de la «révolution conservatrice» de Ronald Reagan dans les années 80, la syndicalisation a particulièrement flanché dans le secteur privé au cours des trente dernières années pour tomber à 6,6%, selon des chiffres du département du Travail.

Dans le même temps, les bas salaires américains ont stagné et les richesses se sont concentrées entre les mains de 0,1% de familles qui détiennent désormais près d'un quart de la richesse du pays.

Peut-on pour autant établir un lien entre ces deux tendances? Pourtant peu suspect de sympathies syndicales, le Fonds monétaire international (FMI) le suggère.

Dans une récente étude, deux de ses économistes affirment que le déclin de la syndicalisation dans les pays riches a été un «élément-clé» des disparités de salaires en réduisant la «capacité de négociation» des employés.

Désindustrialisation

C'est également l'avis d'experts américains interrogés par l'AFP. «Ce n'est pas un hasard si la plus grande expansion de la classe moyenne a eu lieu entre la fin des années 40 et la fin des années 70, pendant l'âge d'or du syndicalisme», assure Philip Dine, auteur d'un ouvrage sur le sujet («State of the Unions»).

Depuis, la désindustrialisation massive du pays couplée à la crainte de licenciements ont contribué à plomber le syndicalisme américain.

Aux États-Unis, «les salariés du secteur privé peuvent être licenciés sans raison. Ce n'est pas le meilleur encouragement à se syndiquer», relève Ben Zipperer du Center for Equitable Growth, un groupe de réflexion spécialisé dans les inégalités.

Ce n'est pas la seule charge qui pèse sur les syndicats. La moitié des États américains a adopté des lois du «droit au travail» (right-to-work) qui les privent de cotisations obligatoires des salariés. C'est d'ailleurs la plus récente de ces lois, adoptée dans le Wisconsin, que Barack Obama critiquait.

De manière plus anecdotique, des conseillers experts en techniques pour éviter la formation de syndicats dans les entreprises («union avoidance») continuent de fleurir dans le pays.

«On peut se demander si c'est le bon moment pour un salarié de négocier en son nom à l'heure où les entreprises n'ont jamais été aussi puissantes», relève M. Dine.

L'embellie sur le marché du travail américain et la décrue du taux de chômage pourraient toutefois changer la donne en augmentant la marge de négociation des salariés.

Quelques mouvements sociaux semblent le confirmer. Des débardeurs ont mené pendant plusieurs mois une vaste grève sur les ports de la côte ouest qui vient de se terminer et les salariés de restaurant-minute ont multiplié les actions coup-de-poing.

Surtout, le plus grand employeur américain Wal-Mart s'est décidé mi-février à augmenter le salaire minimum d'un demi-million de ses employés.

«Les travailleurs pourraient effectivement avoir plus de pouvoirs à mesure que le marché du travail se resserre (...) mais cela ne sera pas suffisant pour inverser une tendance structurelle», estime auprès de l'AFP Damon Silvers, d'un des principaux syndicats américains AFL-CIO.

Selon lui, le vrai changement viendra quand les salariés feront l'expérience de leur «pouvoir». «Il y a une génération entière pour qui le lieu de travail a été le royaume de l'impuissance. C'est ce sentiment qu'il faut changer», affirme-t-il.