Une ex-camionneuse de 54 ans veut détrôner la dynastie Hoffa à la tête des Teamsters, un syndicat de cols bleus dont 75% des membres sont des hommes. Portrait de Sandy Pope, une syndicaliste qui n'a pas froid aux yeux, dans un pays où l'antisyndicalisme a la cote.

Quand elle a commencé à être camionneuse, dans les années 70, Alexandra «Sandy» Pope devait demander aux serveuses de monter la garde devant la salle des douches des relais pour camionneurs, qui à l'époque étaient généralement unisexes. Elle devait absolument prendre une douche parce qu'elle livrait de l'acier, une cargaison généralement couverte de graisse noire qui tachait ses vêtements quand elle la manipulait.

Trente ans plus tard, Mme Pope, une blonde charpentée de 54 ans, veut être présidente des Teamsters. Malgré l'opposition acharnée du président actuel, James Hoffa, fils du légendaire Jimmy Hoffa, elle a été élue en compagnie de deux autres candidats par l'assemblée des délégués syndicaux rassemblée à Las Vegas à la fin juin. Le dernier tour de l'élection aura lieu cet automne.

Chaque fois qu'elle prenait la parole, la grande majorité des 5000 délégués la huaient, rapporte le site Labor Notes, un magazine syndical. «C'est moins important que les années passées, a raconté à Labor Notes un manutentionnaire partisan de Mme Pope. Ceux qui déviaient du consensus se faisaient bousculer.» Les Teamsters comptent 1,3 million de membres aux États-Unis et 125 000 au Canada, à 75% des hommes.

«Je suis entrée dans la direction du syndicat parce que je trouvais que nous faisions trop de concessions», explique Mme Pope, en entrevue avec La Presse de son bureau de présidente du local 805 des Teamsters, à New York (elle tient parfois des réunions dans une taverne voisine). «Il n'y a aucune raison de faire des concessions financières à perpétuité. Si l'entreprise traverse une période difficile, soit, on peut faire des coupes de salaires et réaménager le travail pour économiser. Il vaut mieux le faire plutôt que l'entreprise ferme ses portes. Mais ça doit être associé à des clauses qui permettent d'éviter que les actionnaires et les dirigeants récoltent toute la manne si les résultats s'améliorent. Et il n'y a aucune raison de faire des concessions qui n'accroissent pas la rentabilité de l'entreprise, comme le respect du contrat de travail en cas de déménagement de l'entreprise ou la sous-traitance.»

Les emplois avant tout

Dans un récent débat à CNN avec un économiste hostile aux syndicats, Mme Pope a défendu l'aide gouvernementale à Chrysler. «Pour certains, c'est une vente au rabais à une entreprise étrangère d'une icône américaine, dit Mme Pope. Mais pour moi, tout ce qui compte, c'est qu'on a conservé des emplois aux États-Unis. Le grand problème des États-Unis, c'est le système médical. Vingt pour cent de nos primes d'assurance médicale servent à payer les soins donnés aux personnes n'ayant pas d'assurances. Les hôpitaux ne peuvent pas refuser de soigner quelqu'un et quand ils voient qu'un patient n'a pas d'assurance et ne peut pas payer, ils refilent la facture à ceux qui en ont une. Ça signifie que les gens qui ont des assurances subventionnent les entreprises qui n'offrent pas d'assurances à leurs employés. C'est inacceptable. Construire une voiture au Canada coûte 1500$US moins qu'aux États-Unis uniquement pour cette raison.»

Sexisme?

Fait-elle face à du sexisme durant sa campagne? «En ce moment, non. Ni quand je suis devenue présidente du syndicat local en 2005. J'étais représentante depuis 1999 et les gars savaient que leur cause était importante pour moi. J'étais devenue numéro deux et j'ai battu le président parce qu'il avait trop fait de concessions sur notre régime de retraite.

«J'ai connu le sexisme au début de ma carrière, dans les années 70. Mais même là, mes confrères de travail étaient prêts à m'aider parce qu'ils voyaient que je n'avais pas froid aux yeux. Au milieu des années 80, quand je me suis présentée à la présidence de mon syndicat local en Ohio, j'ai perdu par quelques points de pourcentage et ça a fini de convaincre les gars que je méritais leur respect.»

Signe de l'intérêt que suscite sa candidature, Mme Pope a même été traitée avec respect durant un récent passage au réseau Fox, généralement peu favorable aux syndicats. Il faut dire qu'il est paradoxal qu'une femme monte au créneau pour défendre un monde d'hommes. Sa campagne illustre les ravages de la «mancession», surnom donné par des commentateurs américains à une récession où les hommes constituent 80% des nouveaux chômeurs. «L'avenir des Teamsters passe entre autres par les postes au bas de l'échelle qu'on ne peut exporter à l'étranger, le personnel des écoles, les employés du gouvernement et des hôpitaux, le personnel d'entretien et des restaurants, dit Mme Pope. Ces emplois sont souvent occupés par des femmes.»

Le père de Sally Pope était un banquier d'affaires de New York. Ses opposants politiques ont avancé qu'elle était étrangère au monde des Teamsters, un rejeton de la bourgeoisie. «J'ai peut-être eu une éducation un peu meilleure que la moyenne au secondaire, mais j'ai abandonné le collège et je n'ai jamais dépendu de mes parents par la suite, se défend-elle. J'ai pris un travail de col bleu et j'ai payé tout ce qui m'appartient. Avec mon premier chèque de Teamsters, j'ai acheté ma première voiture, avec mon deuxième un manteau de cuir. Je me suis mariée à 30 ans, j'ai eu deux enfants, je suis divorcée. Je suis une personne normale.»