Quand elle parle au président américain, Ursula Burns répète constamment le même mot. «Les emplois, les emplois et les emplois. Ça devrait être sa priorité», dit la PDG de Xerox.

Première femme afro-américaine à diriger une entreprise de l'indice S&P 500, Ursula Burns fait partie de l'équipe de conseillers mise sur pied par Barack Obama pour améliorer l'enseignement des sciences, de la technologie, des mathématiques et de l'ingénierie. Grâce à cette nomination, cette femme apolitique a l'oreille du président américain quelques fois par année. «À mon avis, toutes ses décisions économiques doivent tenir compte de la création d'emplois, dit Ursula Burns en entrevue à La Presse Affaires. Nous avons une petite croissance économique actuellement, mais le taux de chômage est très élevé. Je ne vois pas comment nous pouvons avoir une économie prospère avec autant de personnes sans emploi.»

Grâce à son plan de relance de 787 milliards$US, Barack Obama a sorti les États-Unis de leur plus longue récession depuis les années 30. Il a administré avec succès le plan de relance de Wall Street. Mais il n'a pas créé assez d'emplois. Il y a actuellement 5,5 millions d'emplois de moins que lors de son élection, en novembre 2008. Une carte de visite plutôt gênante pour le président et le Parti démocrate, qui tentera de conserver sa majorité au Sénat et à la Chambre des représentants lors des élections de mardi prochain.

«Si vous avez à choisir la donnée la plus importante pour un politicien, c'est probablement le taux de chômage», dit l'économiste Jeffrey Frankel, ancien conseiller de Bill Clinton et aujourd'hui professeur d'économie à l'Université Harvard.

«L'économie grossit, les entreprises font des profits mais elles n'embauchent pas de façon significative, dit Francis Généreux, économiste au Mouvement Desjardins. En plus, après une récession, on voit beaucoup de gens qui avaient cessé de se chercher un emploi tenter à nouveau leur chance. Ils augmentent artificiellement le taux de chômage parce qu'ils n'étaient pas comptabilisés durant la récession.»

À sa décharge, quand Barack Obama a prêté serment en janvier 2009, il a hérité du pire taux de chômage (7,7%) en vigueur lors d'une investiture présidentielle. Les choses ne se sont pas améliorées lors de la première année de son mandat, alors que le taux de chômage a dépassé le seuil psychologique des 10% durant trois mois. En septembre dernier, le taux de chômage était de 9,6%. Il s'agit de la deuxième fois que le chômage dépasse 10% depuis 1948 (la première séquence avait duré dix mois en 1982-83). Le rythme des pertes d'emploi a toutefois ralenti depuis un an.

«Actuellement, l'économie ne va pas aussi bien qu'on voudrait, mais nous partions de tellement bas», dit Jeffrey Frankel, qui a été membre du Conseil des conseillers économiques de l'administration Clinton.

Malgré le taux de chômage élevé, Ursula Burns accorde une bonne note au président Obama pour sa gestion des affaires économiques. «Il a fait aussi bien qu'un nouveau président aurait pu faire dans un contexte aussi difficile, dit la PDG de Xerox. Je suis en désaccord avec plusieurs de ses décisions économiques, mais il a un travail extrêmement difficile.»

Plusieurs économistes, dont le prix Nobel et chroniqueur du New York Times Paul Krugman, ont fait valoir qu'un plan de relance plus imposant aurait créé davantage d'emplois. «Il aurait fallu un plan de relance plus important, mais c'était impossible à faire accepter du Congrès, dit Jeffrey Frankel. L'administration Obama a mal fait plusieurs choses, mais c'est souvent parce qu'elle ne pouvait pas faire passer ses mesures au Congrès.»

«Le plan n'a pas réglé tous les problèmes de l'économie, mais il a tout de même atteint son objectif premier: la récession est terminée», dit Francis Généreux, économiste du Mouvement Desjardins.

Des reproches et des félicitations

Sur la question du chômage, le président américain n'est toutefois pas exempt de tout blâme. «Il n'aurait jamais dû dire que son objectif était de ramener le taux de chômage à 8%, dit Jeffrey Frankel. Au plan économique, c'était trop optimiste. Au plan politique, les républicains en ont fait un argument très convaincant.»

Jeffrey Frankel a d'autres reproches pour l'équipe économique de la Maison-Blanche dirigée par son ami Lawrence Summers, l'ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton. L'administration Obama n'aurait pas dû tolérer l'imposition de tarifs sur les pneus chinois. «En même temps, imposer des tarifs à la Chine, c'est la seule chose sur laquelle les démocrates et les républicains s'entendent à Washington», dit Jeffrey Frankel.

Parmi les bons coups d'Obama: avoir prolongé de quelques mois un crédit d'impôt de 8000$US pour les premiers acheteurs de maison, ce qui a soutenu pendant quelque temps un marché immobilier anémique. Selon l'indice Case-Schiller, le prix des maisons américaines a chuté de 28% depuis son sommet en juin 2006 et de 4% depuis l'élection de Barack Obama en novembre 2008. «Le crédit d'impôt a soutenu l'immobilier, mais il a expiré en avril et les mises en chantier sont revenues près des planchers historiques», dit Francis Généreux, du Mouvement Desjardins.

Sans crédit d'impôt, l'administration Obama devra miser sur des taux d'intérêt plus bas afin de sortir de la crise immobilière qui frappe les États-Unis depuis 2007. L'ennui, c'est que les taux d'intérêt sont influencés par la Réserve fédérale, pas par la Maison-Blanche. C'est donc Ben Bernanke bien plus que Barack Obama qui détient la clé de la reprise immobilière. «Les yeux sont tournés vers la Réserve fédérale, qui pourraient faire des achats de titres pour faire baisser les taux d'intérêts», dit Francis Généreux.

Immobilier, chômage, désaccord avec la Chine sur la valeur du yuan, dette fédérale ayant augmenté de 38% en deux ans - l'administration Obama en a plein les bras au plan économique. Seuls les marchés boursiers ont pris du mieux, mais les hausses boursières se traduisent rarement en votes. «Je ne vois pas comment régler tous nos problèmes économiques à court terme», dit l'économiste de Harvard Jeffrey Frankel.

La réélection de Barack Obama arrive elle aussi à très court terme - en novembre 2012. «L'économie peut briser la carrière de n'importe quel politicien, dit l'économiste Francis Généreux. Rappelons-nous George Bush père en 1992. Quand tu ne peux plus utiliser l'argument que les électeurs sont mieux qu'à l'élection précédente, c'est difficile de gagner une campagne...»

Pas de lien entre le chômage et les résultats électoraux

Selon les sondages, les démocrates pourraient bien perdre le contrôle du Congrès lors des élections législatives de mardi prochain. Mince consolation: l'histoire joue plutôt en leur faveur puisque les électeurs ont rarement puni un parti au pouvoir au Congrès lorsque le taux de chômage augmente. Sur les 31 élections législatives fédérales tenues depuis 1950, le taux de chômage a augmenté 12 fois par rapport à l'élection précédente. Lors de ces 12 hausses du taux de chômage, la Chambre des représentants a changé de parti majoritaire seulement deux fois, le Sénat trois fois.

> Clavardage sur l'économie américaine

Lundi 1er novembre de midi à 13h sur www.lapresseaffaires.cyberpresse.ca/clavardage