Barack Obama a été élu président des États-Unis en pleine crise financière à l'automne 2008. Deux ans plus tard, la situation demeure inquiétante. Les prix de l'immobilier sont toujours dans les bas-fonds, les consommateurs hésitent à dépenser, les entreprises embauchent peu. Bref, le pays peine à sortir du marasme. À quelques semaines des élections cruciales de mi-mandat, La Presse Affaires vous présente aujourd'hui un portrait de la région de Tampa Bay, l'une des plus touchées par les pertes d'emplois dans tout le pays. Puis, demain, une ville où la récession a oublié de s'arrêter: Oklahoma City.

Jeudi matin, dans une banlieue anonyme de Tampa. Une centaine de personnes font la file sous la pluie battante devant un petit centre communautaire, où s'ouvrira dans 30 minutes une foire de l'emploi. Les deux stationnements affichent déjà complet tellement l'événement est couru.

> Suivez Maxime Bergeron sur Twitter

Une fois les portes ouvertes, une faune éclectique de Noirs, Blancs, Latinos-Américains, jeunes et très vieux parcourent les kiosques, armés d'une pile de curriculum vitae. «Je cherche n'importe quoi rendu à ce point, ça fait trois mois et je n'ai toujours rien trouvé», dit Jasmine Means, âgée de 20 ans.

Dans la deuxième ville de Floride, comme partout aux États-Unis, l'emploi constitue le principal défi de la reprise économique. Sauf qu'ici, la crise a frappé plus fort qu'ailleurs. Tampa-St. Petersburg-Clearwater compte parmi les six agglomérations de plus d'un million d'habitants les plus affectées par le chômage. Le taux atteignait 12,3% en juillet, deux points et demi de plus que la moyenne nationale - et le triple d'il y a trois ans. En incluant tous ceux qui ont abandonné leur recherche d'un boulot, on frôle les 20%.

Janet Cruz, parlementaire démocrate élue en février dernier, a organisé cette foire de l'emploi pour répondre à sa principale promesse électorale: remettre les gens au travail. Le budget de l'événement était famélique. «On a juste dépensé 300$, ce qui nous a quand même permis d'attirer 100 employeurs, confie-t-elle au milieu de la foule bigarrée. Mon objectif, c'est que 10% des gens qui se sont déplacés ici aujourd'hui repartent avec un job.»

La déprime se voit et se sent presque partout à Tampa, ravagé par les saisies immobilières et la chute du tourisme. Sur les bancs d'autobus, des publicités promettent de vous libérer de vos dettes sans effort. Dans les centres commerciaux, comme le chic International Plaza, les vendeuses des grands magasins se tournent les pouces en attendant les clients. Et à la radio, les publicités des chaînes d'alimentation à rabais sont légion. Save-a-Lot propose notamment un saucisson de bologne d'une livre pour 1$!

La hausse fulgurante du chômage frappe toutes les strates de la population, des travailleurs les moins instruits aux plus hauts professionnels. Fin juillet, la firme de technologies de l'information PricewaterhouseCoopers a annoncé la suppression de 500 postes à Tampa, un coup de plus pour une ville déjà à genoux.

Cette débandade de l'emploi a fait exploser le nombre de familles incapables de se payer de la nourriture. La demande a augmenté de 20% à 40% dans les différentes banques alimentaires du sud-ouest de la Floride depuis le début de la crise il y a deux ans, estime l'organisme Feeding America, qui amasse et redistribue des denrées dont la date de péremption est proche.

Dans le vaste entrepôt de Feeding America, situé en bordure d'une autoroute, des caisses et des caisses de nourriture en conserve, de boissons gazeuses et autres biscuits s'empilent presque jusqu'au plafond. Mais Marc Sutherland, directeur du marketing, doute que les quantités seront suffisantes pour répondre à la progression fulgurante de la malnutrition.

«Pour chaque hausse de 1% du taux de chômage dans la le sud-ouest de la Floride, on a besoin de 2,5 millions de livres de nourriture supplémentaires, explique-t-il. Depuis un an, la Floride a enregistré une augmentation de 5% du nombre d'enfants souffrant d'insécurité alimentaire.»

Les propriétaires de maisons sont eux aussi sur la corde raide. Les prix de l'immobilier ont chuté de 41% depuis leur sommet de 2007, à 162 000$US en moyenne selon la Greater Tampa Association of Realtors. Des milliers de ménages continuent de se faire évincer de leur domicile tous les mois. Seulement en juillet, les banques ont saisi 3000 propriétés dans la grande région de Tampa.

Dans les rues de plusieurs quartiers, modestes comme aisés, le nombre de pancartes «à vendre» est stupéfiant. Le choix apparaît quasi illimité, tout comme le pouvoir de négociation des acheteurs. Les transactions à 75 000$US - voire moins - sont fréquentes.

Franklin Cruz, investisseur immobilier et président de la firme de courtage Cruz TradeMarks, achète à rabais des maisons saisies par les banques, qu'il retape et revend ensuite à des prix abordables. Il reçoit La Presse Affaires dans une coquette maison de Tampa Heights, un quartier en émergence près du centre-ville.

La propriété de 1700 pieds carrés, entièrement rénovée, compte trois chambres, deux salles de bains, des électroménagers neufs et de beaux arbres matures. M. Cruz l'a achetée pour 30 000$US auprès d'une banque - qui demandait au départ 55 000$US , a investi 40 000$US en rénovations, et il vient de la mettre sur le marché pour 110 000$US. «Il y a trois ans, au sommet du boom, cette maison se serait vendue environ 250 000$US», dit-il.

La demande pour les maisons de moins de 200 000$US a vraiment repris son envol, avance Franklin Cruz. Mais au-delà de ce seuil, c'est le calme plat. L'incertitude quant à la trajectoire des prix fait fuir les acheteurs.

Le prix moyen des résidences a tellement baissé à Tampa qu'une bonne partie des propriétaires ont une hypothèque plus élevée que la valeur marchande de leur résidence. Résultat: plusieurs s'entendent avec leur banque pour faire une vente à découvert, ce qui veut dire que l'institution accepte d'encaisser une perte sur la somme qui lui est due.

«Ceux qui vivent dans une maison à 600 000$US et continuent à payer de grosses hypothèques voient leurs voisins faire des ventes à découvert et se disent: pourquoi pas moi aussi? explique Franklin Cruz. Ils savent que leur dossier de crédit va être affecté pendant quelques années, mais ils se disent qu'au moins, l'hémorragie va arrêter.»

Conséquences sociales

Cette explosion du nombre de saisies et d'abandon de maisons entraîne des conséquences sociales dans certains quartiers. Le risque d'attirer des squatteurs et autres sans-abri est grand, si bien que la Ville de Tampa ait commencé à racheter des propriétés pour tenter de limiter la décrépitude. Le pouvoir d'action de la municipalité est toutefois limité, puisque la crise a fortement grevé ses finances.

Depuis deux ans, la Ville a dû réduire ses dépenses de 124 millions sur un budget de 787 millions et licencier 673 employés, ou 13% de son personnel. Pendant ce temps, les revenus qu'elle tire des impôts fonciers ont fondu comme neige au soleil... au même rythme que la valeur des maisons. Ils sont passés de 166 millions en 2007 à 122 millions pour la présente année financière.

«Nous essayons de stimuler l'investissement, mais on peut seulement en faire un peu», explique Marc Huey, administrateur du développement économique, dans son bureau sobre de l'hôtel de ville.

Pour relancer son économie, Tampa mise beaucoup sur le programme de stimulus fédéral, qui prévoit l'installation d'une gare du futur TGV floridien en plein coeur de son centre-ville et des millions en retombées. Cela s'ajoute à plusieurs autres projets d'infrastructures et à l'ouverture prévue d'un nouveau campus de la South Florida University. Tous des projets publics ou mixtes. «Il n'y a pas d'investissements privés ces jours-ci», confirme M. Huey.

En fait, un des secteurs industriels les plus lucratifs de la Floride - la finance - continue de perdre des plumes à un rythme effarant. Sur les 300 banques régionales de l'État, baptisé par certains «Wall Street South», 17 ont fait faillite depuis le début de l'année, dont une à Tampa. Quatorze avaient déjà fermé leurs portes l'an dernier.

«Nos banques sont essentiellement le reflet de nos communautés: si l'économie ne va pas bien, nos banques non plus», dit Alex Sanchez, président et chef de la direction de la Florida Bankers Association.

Un mince rayon de soleil commence néanmoins à poindre à l'horizon du «Sunshine State»: le rythme des pertes d'emplois a un peu ralenti depuis quelques mois. Et le taux de chômage officiel a légèrement baissé depuis le sommet de 13,2% atteint en février.

Rebecca Rust, économiste au département floridien du Travail, se montre malgré tout prudente. Selon elle, on saura que le fond du baril a été atteint seulement quand une réelle croissance sera en place. «On a encore un million de personnes sans emploi. La situation s'améliore et c'est encourageant, mais on a toute une pente à remonter.»

> 14,3%

TAUX DE PAUVRETÉ AUX ÉTATS-UNIS EN 2009, CE QUI REPRÉSENTE 43,6 MILLIONS

D'AMÉRICAINS. C'EST LE TAUX LE PLUS ÉLEVÉ EN 15 ANS, A INDIQUÉ HIER LE CENSUS BUREAU.