Le discours sur l'état de l'Union de Barack Obama fait ressortir combien les influences des lobbies divisent la classe politique américaine. Au point de compromettre l'adoption de réformes nécessaires pour éviter une nouvelle crise financière et pour assurer une croissance soutenue à moyen et long termes.

«La Chambre (des représentants) a déjà adopté une réforme, a-t-il rappelé. Les lobbyistes essaient de la tuer. Nous ne pouvons les laisser gagner cette bataille.»

Faisant ensuite allusion au désenchantement grandissant de la population à l'égard de la classe politique, il est revenu à la charge. «Pour combler ce déficit de crédibilité, nous devons agir des deux côtés de l'avenue de Pennsylvanie pour mettre fin à l'influence démesurée des lobbyistes afin d'accomplir notre travail ouvertement, pour donner à notre peuple le gouvernement qu'il mérite.»

Le Sénat et la Chambre logent au Capitole, qui fait face à la Maison-Blanche sur la célèbre avenue.

Le rôle des lobbies, financés à coups de dizaines de millions par la grande entreprise et divers groupes de pression, est allé sans cesse grandissant à Washington. La décision récente de la Cour suprême de ne plus imposer de limite au financement des activités politiques ou des candidats ne pourra que mieux les servir, qu'ils représentent des intérêts américains ou étrangers, a aussi déploré le président.

«On ne connaît pas d'autre démocratie avancée dont le chef d'État élu a autant de difficulté à réaliser son programme politique et économique alors même qu'il jouit de fortes majorités au Sénat et à la Chambre des représentants», résume Pierre Fournier, analyste géopolitique à la Banque Nationale, dans une note intitulée «La reprise américaine otage du populisme et des lobbies».

Menace à la démocratie

À son avis, ce n'est pas seulement la partialité républicaine qui est en cause, mais surtout la structure même de la démocratie américaine. «Si le système des contrepoids a été la bonne formule pour protéger les libertés individuelles et l'entreprise privée aux XIXe et XXe siècles, il semble de plus en plus obsolète et incapable de générer ou de tolérer le leadership audacieux et nécessaire pour guider de manière cohérente une économie complexe dans un cadre international de plus en plus concurrentiel», écrit-il.

Sans aller jusqu'à remettre en question la nature des institutions, le président ne s'est pas gêné pour en critiquer le fonctionnement actuel. «Ni l'un ni l'autre parti ne devrait retarder ou faire obstruction à n'importe quelle loi simplement parce qu'il le peut, a-t-il déploré. La nomination de serviteurs de l'État compétents ne devrait pas être conditionnelle à l'adoption de projets qui nous sont chers ou servir aux règlements de comptes d'une poignée de sénateurs.»

Sans le nommer, on comprend que le président faisait allusion à la difficile reconduction de Ben S. Bernanke pour un autre mandat à la tête de la Réserve fédérale, confirmée hier.

Cette obstruction oblige le président à recourir au populisme. Si attaquer les lobbies ou les banques va de soi en pareilles circonstances, M. Fournier craint aussi une résurgence du protectionnisme susceptible de miner la reprise économique.

M. Obama s'est bien gardé de prononcer ce mot maudit. Il s'est montré ouvert à la relance de la ronde de Doha à l'Organisation mondiale du commerce. Il a même lancé un objectif des plus ambitieux: doubler la valeur des exportations américaines en cinq ans.

Attaques contre les banques

Il ne s'est pas gêné, par contre, pour attaquer les banques et les primes faramineuses que se versent leurs dirigeants même quand ils faillent à la tâche.

M. Fournier croit que les banquiers américains ne pourront éviter un certain encadrement de leur rémunération, pas plus que la taxe extraordinaire que Washington veut leur imposer pour recouvrer jusqu'au dernier cent de l'argent des contribuables investi pour sauver du naufrage le système financier.

Quant à la réforme des banques proposée par l'ancien président de la Fed Paul Volcker, il faudra voir ce qu'il en restera. «Les multinationales ont besoin de grandes banques, surtout au moment où les économies émergentes sont en train d'en former de gigantesques», a expliqué M. Fournier à La Presse.

Les lobbies vont y voir.