Les hostilités sont lancées. Avec le dépôt d'une requête judiciaire pour concurrence déloyale et dumping contre l'industrie canadienne, vendredi, l'industrie américaine du bois d'oeuvre tire la première salve de ce qui se présente comme une nouvelle guerre commerciale.

Le recours judiciaire vise à «rétablir les conditions d'un commerce équitable du bois d'oeuvre résineux entre les États-Unis et le Canada», selon un communiqué publié vendredi par une coalition de producteurs américains.

La requête allègue que les gouvernements provinciaux du Canada fournissent aux producteurs des arbres sur pied inférieurs à la valeur marchande en plus de leur offrir «de nombreuses autres subventions», selon le communiqué.

Le lobby américain du bois d'oeuvre soutient également que l'industrie canadienne s'adonne à du dumping en vendant au sud de la frontière ses produits forestiers à des prix «inférieurs à leur juste valeur aux États-Unis».

En déposant cette demande d'enquête, la coalition réclame des autorités américaines qu'elles imposent des tarifs douaniers punitifs sur les produits en provenance du Canada «pour compenser les torts causés aux scieries des États-Unis, des travailleurs et des communautés».

Les représentants de l'industrie canadienne, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ne sont pas tombés pas en bas de leur chaise en apprenant la nouvelle. Tous savaient que des démarches judiciaires seraient entamées après l'expiration de la trêve, le 12 octobre dernier.

Chez Produit forestiers Résolu, on trouve néanmoins «malheureux» que l'industrie américaine «sort encore ses gros bras» même si, dans le passé, les tribunaux internationaux ont toujours tranché en faveur du Canada, a regretté le directeur des affaires publiques, Karl Blackburn.

Surtout que depuis le dernier conflit, qui s'est finalement réglé en 2006 sous le précédent gouvernement conservateur, le Québec a procédé à une réforme de son régime forestier afin de rendre celui-ci conforme aux critères du libre-marché, a-t-il souligné.

Le premier ministre Philippe Couillard a fait écho à ces propos du côté de Madagascar, où il se assiste au Sommet de la Francophonie, soutenant que «l'industrie forestière au Québec est un système qui reflète le prix du marché, qui ressemble d'ailleurs à beaucoup d'États américains».

Le Conseil de l'industrie forestière du Québec (CIFQ) évalue que des tarifs oscillant entre 20 et 25 pour cent entreront en vigueur au printemps 2017, ce qui se traduirait par une facture de 225 ou 250 millions $ pour l'industrie québécoise.

C'est la raison pour laquelle le président-directeur général, André Tremblay, exhorte le gouvernement fédéral à «mettre en place des outils financiers qui vont permettre à l'industrie de passer à travers une bataille judiciaire qui pourrait durer deux, trois, quatre ans».

Il espère la création d'un programme de garanties de prêt qui permettrait aux producteurs forestiers qui se verront infliger des taxes punitives «d'avoir les liquidités pour faire la guerre et se rendre au bout du processus».

Car il semble qu'on se dirige tout droit vers un litige commercial qui pourrait s'éterniser devant les tribunaux. Ce sera la cinquième fois depuis 1983 qu'un conflit éclate entre le Canada et les États-Unis dans cet épineux dossier, rappelle le professeur Carl Grenier, de l'Université Laval.

Et si les producteurs américains reviennent immanquablement à la charge même s'ils ont essuyé défaite par-dessus défaite devant les tribunaux dans le passé, c'est «parce que c'est très payant pour eux», souligne en entrevue le spécialiste de l'enjeu du bois d'oeuvre.

«Vous allez voir, les marchés ont appris qu'il y avait une nouvelle enquête aujourd'hui, le prix du bois va probablement remonter aux États-Unis, le prix des actions des compagnies américaines va augmenter, le prix des terres à bois va augmenter», a expliqué M. Grenier.

«Si on s'assoit et qu'on négocie, c'est exactement ce qu'ils veulent. Les Américains ne sont pas intéressés, véritablement, à aller jusqu'au bout des procédures judiciaires. (...) Ils veulent exercer des pressions, une pression financière, avec les droits compensatoires», a-t-il spécifié.

Le gouvernement fédéral dit avoir l'intention de poursuivre les négociations pour en venir à une entente négociée. La ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, a cependant déclaré à plusieurs reprises qu'elle signerait un «bon accord» et pas «n'importe quel accord».

Invité à dire si Ottawa est ouvert à l'idée de mettre sur pied un programme de garanties de prêt pour soutenir l'industrie forestière canadienne, le ministère des Ressources naturelles, à qui incomberait cette tâche, s'est contenté de dire qu'il était «conscient de l'importance cruciale de la forêt et du secteur des ressources naturelles pour l'emploi dans les collectivités d'un bout à l'autre du pays».

«Le gouvernement défendra rigoureusement les intérêts de l'industrie canadienne du bois d'oeuvre résineux, ses travailleurs et ses producteurs. Ceci comprend des recours judiciaires en vertu de l'ALENA et auprès de l'Organisation mondiale du commerce, selon le cas», a indiqué Jocelyn Argibay, porte-parole au ministère, dans un courriel envoyé vendredi en fin d'après-midi.