Chute des réserves monétaires, compressions des dépenses publiques, délais de paiement allongés pour les fournisseurs, report d'investissements, recours à la dette pour financer des déficits croissants...

Autant de mesures que s'imposent normalement des pays pauvres ou en panne économique. Mais qui aurait cru il y a dix, cinq ou même trois ans que la très riche Arabie saoudite devrait un jour s'astreindre à un tel régime?

La chute des cours du pétrole a changé beaucoup de choses sur la planète. Mais peu de gens auraient prédit ce scénario: les pétromonarchies s'apprêtent à connaître une période très difficile sur le plan économique.

Comme s'il n'y avait pas assez de problèmes au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite risque en plus d'écoper de la faiblesse persistante des prix de l'or noir. Aussi, le Fonds monétaire international (FMI) et la firme Moody's viennent de servir un avertissement au royaume saoudien, dont les finances publiques se dégradent rapidement.

Un énorme déficit

Le FMI confirme ce dont plusieurs se doutaient: la baisse des prix du brut - environ 60% depuis juin 2014 - fait mal aux pays du golfe Persique. Mais l'ampleur des dégâts est plus grande que ce à quoi on s'attendait.

Plus riche pays du Moyen-Orient, l'Arabie saoudite se dirige cette année vers un déficit budgétaire de l'ordre de 20% de son produit intérieur brut (PIB), selon le FMI. En termes relatifs, c'est un trou énorme. Cela représente environ sept fois le ratio déficit/PIB du Canada.

Il s'agit d'un revirement spectaculaire pour ce leader de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) qui, durant les belles années de l'or noir à 100$US ou plus, enchaînait des surplus équivalant à 10% ou même 20% de son PIB.

Avec l'énorme production des Américains, combinée aux exportations attendues de l'Iran et l'Irak, l'offre mondiale de brut est de plus en plus surabondante, l'excédent étant estimé à 3 millions de barils par jour d'ici un an ou deux, selon des études.

Facteur aggravant, des pays de l'OPEP cherchent à préserver leur part de marché en maintenant leur production à un niveau élevé, ce qui contribue à la faiblesse des prix. Une stratégie coûteuse qui a des répercussions sur leurs finances.

Les six membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont 80 à 90% des revenus dépendent du pétrole et du gaz naturel, «devraient afficher un déficit budgétaire combiné de près de 10% du PIB régional en 2015 et en 2016, contre un excédent moyen de près de 9% dans les années 2010/2014», écrit la firme Moody's, dans un nouveau rapport. Cela se traduira par un déficit total de plus de 140 milliards US cette année.

Chose impensable il y a cinq ans, Riyad a dû emprunter (par une émission d'obligations) 4 milliards US auprès des banques locales en juillet pour boucler son budget. Et les colossales réserves monétaires de l'Arabie saoudite ont chuté de 65 milliards US durant les sept premiers mois de 2015, à 635 milliards US, selon tradingeconomics.com.

Si rien ne change, les pays du CCG vont accumuler un déficit global de 700 milliards US d'ici cinq ans, prévient le FMI.

Et dire que, durant les cinq ans qui ont précédé la chute des prix du brut, ces mêmes pays ont engrangé des surplus de 600 milliards US. «C'est un revirement énorme», souligne dans une note économique Masood Ahmed, directeur Moyen-Orient/Asie centrale au FMI.

Vite, un nouveau modèle

Aussi, le FMI recommande aux pays du Golfe de réduire les dépenses publiques et, surtout, de diversifier leurs sources de revenus face à la baisse «importante et durable» des prix du pétrole. «Les pays exportateurs de pétrole disposent certes de réserves financières, mais résoudre ces problèmes est urgent», écrit l'organisme.

Certaines pétromonarchies ont commencé à changer. À Oman, les subventions ont été réduites dans le secteur énergétique et de nouvelles taxes pour les entreprises ont vu le jour. Les Émirats arabes unis - l'économie la plus diversifiée du Golfe - envisagent en plus d'introduire de nouvelles ponctions fiscales, dont une TVA (taxe à valeur ajoutée).

Pour ces pays habitués à voir l'argent couler à flots dans leurs coffres, un nouveau modèle économique sera difficile à implanter. Mais il faudra bien s'y mettre.

Car la banque Citigroup a déjà prédit qu'au rythme où ses réserves s'épuisent, l'Arabie saoudite allait devenir un «importateur net de pétrole» d'ici 2030.