Le cours du baril de pétrole accapare le haut des manchettes économiques depuis quelques semaines. Quatre questions pour comprendre ce marché baissier.

Q Le prix du pétrole est en chute libre et il est maintenant à son plus bas depuis cinq ans. Pourquoi?

R Essentiellement, c'est parce que l'offre de pétrole a augmenté et la croissance de la demande a ralenti. Les États-Unis, grands consommateurs de pétrole, ont augmenté considérablement leur production grâce aux nouvelles techniques d'extraction. Le Canada produit aussi plus de pétrole des sables bitumineux. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui produit le tiers du pétrole mondial et agit souvent comme régulateur des prix en réduisant sa production quand le prix baisse trop, a choisi de la maintenir au même niveau, ce qui a accéléré la dégringolade.

Q Pourquoi le prix de l'essence n'a-t-il pas baissé autant à la pompe?

R Le Canada est devenu un important producteur de pétrole et quand le cours du brut baisse, le dollar canadien baisse aussi. Comme le pétrole s'achète et se vend en dollars américains, la baisse de la devise canadienne empêche les consommateurs de profiter pleinement de la chute des cours du brut. Le niveau de taxe élevé au Québec explique aussi que les prix à la pompe baissent moins vite qu'ailleurs au Canada ou aux États-Unis.

Q Une baisse du prix du pétrole est-elle bonne ou mauvaise pour l'économie?

R À l'exception des économies qui dépendent étroitement de l'industrie du pétrole, comme celle de l'Alberta, une baisse du prix du pétrole a généralement des effets positifs. En réduisant les coûts de production et de transport des usines du Québec et de l'Ontario, la baisse du prix du pétrole aide ces provinces à être plus concurrentielles. De même, les consommateurs qui paient moins cher pour rouler en voiture ou pour chauffer leur maison ont plus d'argent pour acheter d'autres biens et services, ce qui aide l'économie.

Q Est-ce que les bas prix actuels sont là pour de bon?

R C'est la question que tout le monde se pose. À long terme, les prix actuels ne peuvent pas durer parce que la production de pétrole est de plus en plus coûteuse, que ce soit avec les sables bitumineux, avec la fracturation ou à des grandes profondeurs en mer. Les prix pourraient toutefois rester bas encore longtemps, parce que la croissance de la demande mondiale continue de ralentir. L'Agence internationale de l'énergie a encore révisé à la baisse hier ses prévisions de croissance de la demande mondiale pour 2015.

Qui perd, qui gagne?

Mazout: ça ne baisse pas vite

La baisse rapide du prix du pétrole brut n'a pas été suivie par une baisse aussi rapide du prix du mazout pour le chauffage. Le prix du mazout, à 90 cents le litre, est pratiquement le même qu'il y a deux mois. Les raffineurs en profitent pour augmenter leur marge de profit, selon les détaillants de mazout consultés hier. Consolation: ceux qui chauffent au mazout seront les seuls à profiter d'une baisse de leur facture de chauffage cet hiver, parce que les prix de l'électricité et du gaz naturel sont plus élevés que l'an dernier.

Des oléoducs inutiles?

Pour TransCanada, qui veut investir 12 milliards dans un oléoduc qui acheminerait le brut canadien vers les provinces de l'Est et vers l'Europe, la chute rapide du prix du pétrole ne change rien à court terme. L'entreprise a signé des contrats à long terme avec les producteurs de pétrole pour transporter 1 million de barils par jour. La baisse du prix du pétrole n'a pas d'impact sur la demande de ces producteurs, qui espèrent obtenir un prix plus élevé avec ces nouveaux marchés.

Deux millions en économies potentielles pour Montréal

La baisse du prix à la pompe pourrait représenter des économies de 2 millions pour la Ville de Montréal pour la prochaine année. La métropole doit renouveler la semaine prochaine son contrat d'approvisionnement avec Énergie Valero et Pétroles Parkland. Dans ses estimations, la Ville prévoyait payer 7,5 millions au cours de la prochaine année, mais la baisse des prix à la pompe pourrait faire grandement baisser la facture. Montréal consomme en moyenne 6,8 millions de litres de carburant annuellement. Chaque baisse de 1 cent représente ainsi une économie de 68 000$ sur une période d'un an. Ainsi, si la chute de 30 cents observée devait se maintenir, Montréal pourrait économiser 2 millions.

Un baume pour la balance commerciale

La chute des prix de l'or noir stimule la consommation des deux côtés de la frontière. C'est un atout pour les manufacturiers exportateurs qui tirent déjà parti de la dépréciation du dollar canadien. Les coûts de transport, en particulier par camion, vont diminuer et favoriser ainsi le commerce transfrontalier. L'avantage principal, toutefois, se verra surtout dans les chiffres de la balance commerciale. Le Québec importe tout son or noir, qui représente, avec les voitures et les ordinateurs, les trois sources de son déficit structurel.

Peu de changements sur les migrations interprovinciales

Le fameux dicton Go West Young Man (Va à l'ouest, jeune homme) perdra peut-être de son acuité, mais le Québec continuera d'éprouver de la difficulté à retenir ses jeunes. Ce n'est pas l'Alberta, mais l'Ontario qui attire le plus les Québécois. De 1986 à 2013, le Québec a toujours enregistré un solde migratoire interprovincial négatif. C'est seulement en 2006 et 2008 que l'Alberta a attiré davantage de Québécois que l'Ontario. 

La chute du prix du pétrole, qui va stimuler la production manufacturière, viendra renforcer cette tendance. 

L'Ontario devrait connaître la plus forte croissance au pays l'an prochain, à 3,1% selon RBC. Celle du Québec sera tout juste de 2,0%, ce qui est malgré tout très élevé.

- Hélène Baril, Rudy Le Cours, Pierre-André Normandin