Les marchés hésitaient vendredi à poursuivre la glissade des prix du pétrole après la décision de l'OPEP de ne pas réduire sa production, choix imposé au cartel par ses puissants membres pour contrer le pétrole de schiste, mais qui a des effets secondaires profonds.

Après une forte baisse sur les marchés jeudi après-midi, dans la foulée de la décision, le baril tentait de se stabiliser vendredi à Londres et New York, où peu d'opérateurs étaient présents en raison d'un pont après le jour férié de Thanksgiving.

Vers 11 h 20, le brent valait 72,81 dollars (+23 cents par rapport à jeudi soir) et le WTI 68,84 dollars (-4,85 USD par rapport à la clôture de mercredi soir).

Les pétromonarchies du Golfe, qui ont le plus de marge de manoeuvre financière au sein du cartel, ont dit non à certains pays qui voulaient réduire la production pour enrayer la tendance baissière du baril. Avec une idée bien précise: endurer des prix bas le temps de briser l'essor du pétrole de schiste, plus cher à produire.

«C'est la victoire de la coalition des pays du Conseil de coopération du Golfe menée par l'Arabie saoudite et le Koweït», explique à l'AFP Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque à Paris. «Ils ont largement les réserves de change suffisantes pour supporter un baril bas», ajoute-t-il.

Par ricochet, cela permet aussi à l'organisation de maintenir sa part de marché, qui se faisait grignoter ces derniers temps par d'autres pays, comme les États-Unis ou la Russie.

«Aujourd'hui, il y a beaucoup de concurrents, et l'OPEP pompe seulement 30 % de la production mondiale», a déclaré le ministre koweïtien, Ali Omair. «Il était inévitable de prendre la bonne décision de ne pas réduire la production, car une réduction peut être compensée par d'autres».

Pour l'avenir du marché, «le rôle clé devrait être joué par les producteurs de pétrole de schiste américain, qui vont faire face à de plus en plus en plus de problèmes avec un baril sous 70 dollars», selon les analystes de Commerzbank.

Comme «énormément d'exploitations américaines peuvent encore résister avec un baril aux alentours de 60 dollars», selon M. Dembik, «l'idée de l'Arabie saoudite est surtout de dissuader toutes les recherches en cours en Russie et en Chine dans le schiste».

«L'objectif de l'OPEP est de forcer les petits producteurs (aux États-Unis), lourdement endettés et peu rentables, à mettre la clé sous la porte et sortir du marché», a commenté au Financial Times le vice-président du groupe pétrolier russe Loukoil, Leonid Fedoun.

Les analystes de CM-CIC Securities jugent que «la chute du prix devrait donc se poursuivre au cours des prochains mois, ce qui aura des conséquences fortes sur l'économie mondiale».

C'est «une très bonne nouvelle pour les économies occidentales d'avoir des prix du pétrole qui baissent. Cela génère potentiellement beaucoup plus de pouvoir d'achat que n'importe quelle mesure prise par un gouvernement», analyse pour l'AFP Régis Bégué, directeur de la gestion Actions de Lazard Frères Gestion.

Pression déflationniste en zone euro

Vu le rôle essentiel du pétrole dans la vie économique, l'inscription dans la durée d'une énergie bon marché provoque des secousses dans toutes les sphères économiques.

En Bourse, les groupes pétroliers ou parapétroliers se faisaient laminer vendredi, tandis que les compagnies aériennes, grosses consommatrices, en profitaient. Les métaux industriels ont aussi reculé vendredi et certaines matières premières agricoles comme le soja ou le colza, utilisées pour les agrocarburants, suivaient l'évolution du baril.

Surtout, certains pays producteurs, plus exposés, vont vivre douloureusement cette décision de Vienne, comme la Russie, où le rouble continuait sa longue dégringolade et la Bourse faisait grise mine.

Mais «la vraie victime, aujourd'hui, c'est le Venezuela», estime M. Dembik. Un pays dont les finances sont en piteux état, même si un certain flou règne autour des statistiques publiées par Caracas.

À cause de la baisse du pétrole, «la capacité et la volonté du gouvernement d'honorer sa dette en devises sera mise à l'épreuve dans les mois qui viennent, et nous continuons de penser que la plus grande probabililité est celle d'un défaut d'ici deux ans», ont estimé vendredi les analystes de Capital Economics.

En zone euro, la nouvelle n'est pas très bonne dans l'immédiat puisqu'une baisse du brut va contribuer à accentuer les pressions déflationnistes, alors que l'inflation n'a été que de 0,3 % en novembre.

Les effets réels et durables restent toutefois inconnus. «On est entré dans un nouveau paradigme», estime M. Dembik. «Les conséquences de court terme ne permettent pas d'avoir une vision de long terme».