Au terme de plus de deux ans d'efforts, Stornoway a finalement bouclé un financement de près de 1 milliard qui lui permettra de mettre en service la première mine de diamants du Québec, dans le Nord-du-Québec. Les auteurs de l'opération ont fait preuve d'une grande créativité pour constituer cet ambitieux «gâteau à étages».

La première option échoueEn novembre 2011, Stornoway rend publique l'étude de faisabilité du projet Renard, qui prévoit notamment des revenus de 4,1 milliards et un taux de rendement interne de 15% pendant les 11 premières années d'exploitation de la future mine, située à 350 kilomètres au nord de Chibougamau.Le conseil d'administration de l'entreprise, alors établie à Vancouver, donne le feu vert à la réalisation des études techniques détaillées et, surtout, à la recherche du financement nécessaire à la construction des installations minières.

Trois mois plus tôt, Stornoway a conclu une entente avec le gouvernement pour le financement du prolongement de 243 kilomètres de la route 167 entre le lac Albanel et le projet Renard. Québec s'est engagé à débourser 288 millions pour les travaux et Stornoway, 44 millions.

En septembre 2012, Stornoway s'entend avec la Banque de Montréal, la Banque Scotia, Investissement Québec, Exportation et développement Canada, la Société Générale (France), Nedbank (Afrique du Sud) et Caterpillar Financial pour conclure un financement par emprunt de 475 millions US.

«L'objectif était alors de financer le projet à parts égales par endettement et par l'émission d'actions de Stornoway», précise le PDG de l'entreprise, Matt Manson, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Affaires.

Les cours chutent

Or, dans les mois qui suivent, les cours des ressources naturelles chutent brutalement alors que jusque-là, ils montaient depuis au moins deux ans.

«Il est soudainement devenu très difficile de se financer par actions», dit le chef de l'exploitation de Stornoway, Patrick Godin. Impossible, donc, de recueillir 475 millions US au moyen d'une émission d'actions.

L'entreprise prévoyait conclure un accord définitif avec les sept prêteurs dans la première moitié de 2013. Les soubresauts des marchés financiers l'en ont empêchée.

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Une mauvaise surprise

À la fin d'octobre 2012, une nouvelle tuile s'abat sur Stornoway. Le gouvernement l'informe que le prolongement de la route 167 connaîtra des retards et des dépassements de coûts d'au moins 130 millions.

«Dès le lendemain matin, Patrick Godin était à Québec pour rencontrer les hauts fonctionnaires du gouvernement, raconte M. Manson. Nous avons conclu une nouvelle entente en deux semaines à peine. Avec le recul, ç'a été un moment très positif pour nous.»

En vertu du nouvel accord, la contribution de Stornoway pour le prolongement de la route passe de 44 à 77 millions. Québec lui prête la somme à un taux d'intérêt avantageux de 3,35%. C'est l'entreprise qui se chargera des travaux sur les 100 derniers kilomètres de la route, ce qui limite les risques pour l'État. Pour réduire les coûts, on décide que le dernier tronçon ne comptera qu'une seule voie de circulation au lieu de deux.

Les travaux sont confiés à des entrepreneurs cris. Les ponts, tous en bois, sont fabriqués par Chantiers Chibougamau. La route est accessible à partir de septembre 2013, soit un mois plus tard que ce qui avait été prévu au départ, mais deux mois plus tôt que prévu lors de la signature de l'entente révisée avec Québec, en novembre 2012.

«Ça nous a donné un élan et beaucoup de crédibilité à notre capacité de réaliser efficacement le projet», estime M. Godin.

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Le gâteau lève enfin

En août 2013, le conseil d'administration de Stornoway met sur pied un comité spécial pour étudier les différentes possibilités de financement qui s'offrent à l'entreprise. Yves Harvey, ancien PDG de la Société québécoise d'exploration minière (SOQUEM), préside le comité, qui se réunit 11 fois entre septembre 2013 et avril 2014.

«Ça voulait dire qu'on était pas mal près d'une entente», confie Matt Manson.

«Nous recevions des offres, mais la plupart du temps, on nous disait «nous allons conclure avec vous des contrats d'achat de production [streams] si vous obtenez votre financement par actions», relate-t-il. Ça ne nous aidait pas parce que l'émission d'actions était justement un défi pour nous.»

Un contrat d'achat de production (stream) permet à une société minière de financer ses activités en vendant à l'avance une partie de sa production future à un prix prédéterminé, généralement très avantageux pour l'acheteur. (La Caisse et Orion paieront 56$US le carat pour les diamants de Stornoway, alors que le prix actuel sur le marché est d'environ 200$US le carat.)

La perspective change quand Dundee, l'un des courtiers torontois retenus par Stornoway, met l'entreprise en contact avec Orion Mine Finance, un fonds spécialisé établi aux Bermudes, aux États-Unis et en Australie.

Orion, qui participe au financement du projet de mine Dumont de la firme Royal Nickel en Abitibi, s'allie avec la Caisse de dépôt et placement du Québec pour faire une offre alléchante à Stornoway.

Un accord

«Ils ont dit "nous allons passer un contrat d'achat de production avec vous, mais nous allons aussi investir dans votre capital-actions, dans des titres de dette et dans une facilité en cas de dépassements de coûts"«, énumère le PDG. Ensemble, Orion et la Caisse allongent 500 millions.

Investissement Québec, qui finance le projet Renard depuis ses balbutiements, au milieu des années 90, se joint au groupe d'investisseurs avec Caterpillar et le Fonds de solidarité FTQ. L'accord est annoncé le 9 avril.

Stornoway décide de laisser tomber la proposition de 475 millions US faite en septembre 2012 par 7 prêteurs, la jugeant moins intéressante que celle d'Orion, de la Caisse et d'Investissement Québec.

«Il y avait certainement des façons plus simples de financer ce projet, mais elles n'auraient pas été aussi avantageuses pour nos actionnaires», soutient Matt Manson.

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La grande séductionCe n'est pas tout de conclure un montage financier, il faut ensuite le vendre aux investisseurs. Orion, Investissement Québec, la Caisse et Caterpillar ont beau avoir avancé les trois quarts des sommes nécessaires au projet, il reste encore près de 200 millions à aller chercher auprès d'autres investisseurs, principalement sous forme de capital-actions.

Comme c'est généralement le cas lors d'une émission d'actions, les dirigeants de Stornoway entreprennent le 10 avril une tournée des grandes capitales financières qui s'étend sur trois semaines. Outre Montréal, Toronto et Vancouver, ils se rendent à Londres, Genève, Zurich, Boston, New York et San Francisco.

Malgré ces efforts, l'entreprise ne réussit à recueillir que 132 des 184 millions qu'elle pensait récolter sous la forme de capital-actions, soit 52 millions de moins que prévu. Elle compensera en partie cet écart en grossissant son emprunt convertible en actions, qui passera de 55 à 87 millions, en hausse de 32 millions.

«Il y avait une très forte demande pour la dette convertible, ce qui nous a permis de réduire le financement par actions et, par le fait même, la dilution pour les actionnaires», indique Matt Manson.

Une opération de financement d'une telle envergure coûte cher. À la fin de janvier, Stornoway avait déjà engagé des dépenses de 15 millions (commissions et honoraires). La facture finale devrait atteindre 19 millions. À cela s'ajouteront des intérêts totalisant 20 millions à verser d'ici la fin de 2017.

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Les travaux peuvent enfin débuter

Le 8 juillet, Stornoway annonce la clôture du montage financier. Le moment est venu de commencer à dépenser l'argent fraîchement reçu. L'entreprise ne perd pas de temps: deux jours plus tard, le premier ministre Philippe Couillard se rend sur le chantier pour participer à la première pelletée de terre. «Ce projet marque la relance du Plan Nord, s'enthousiasme M. Couillard. Le Québec exploitera une première mine de diamants qui engendrera des retombées économiques et sociales importantes pour la région des monts Otish et les communautés autochtones, mais aussi pour tout le Québec.»

Si tout va comme prévu, les activités minières commenceront en décembre 2016, et la production commerciale débutera en juin 2017. Il s'agit d'un retard d'un an et demi par rapport à ce que prévoyait l'étude de faisabilité de novembre 2011.

Investissement Québec détient désormais 29% des actions de Stornoway, Orion, 28%, et la Caisse, environ 6%. Notons par ailleurs qu'en vertu d'ententes conclues en 2011 et en 2012, l'entreprise versera des redevances à Québec et aux Cris.

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Le financement

> Orion: 396 millions

> Investissement Québec: 240 millions

> Caisse de dépôt et placement: 105 millions

> Autres investisseurs: 283 millions

- actions 132 millions

- prêt convertible 35 millions

- Caterpillar (financement d'équipement) 39 millions

- gouvernement (route 167) 77 millions

Total 1,02 milliard

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Le projet Renard en bref

 Taille du gisement: 18 millions de carats

> Type: mine à ciel ouvert et souterraine

> Marge bénéficiaire d'exploitation: 67%

> Emplois: 600 pendant la construction et 475 par la suite