En donnant aux raffineries du Québec un accès à du pétrole brut moins cher, l'inversion du flux du pipeline d'Enbridge leur apportera un peu d'oxygène, mais il n'assure pas leur survie à long terme.

La différence de prix entre le pétrole nord-américain (WTI) et le pétrole importé (Brent) ne durera pas, a fait valoir hier l'organisme environnemental Stratégies énergétiques, au deuxième jour des audiences publiques de l'Office national de l'énergie à Montréal.

«La justification économique du projet ne tient pas», a expliqué hier à La Presse Affaires le porte-parole de Stratégies énergétiques, Dominique Neuman.

Selon lui, à mesure que le pétrole de l'Ouest pourra être acheminé vers de nouveaux marchés, son prix augmentera et rejoindra celui du WTI, qui est l'étalon nord-américain. «En fait, tous les prix du pétrole vont s'uniformiser d'ici deux ou trois ans», affirme Dominique Neuman, citant les spécialistes de l'Agence internationale de l'énergie et du département de l'Énergie des États-Unis.

Contrairement à ce que prétendent Enbridge et tous ceux qui sont en faveur de son projet, il n'y a donc aucun avantage pour les raffineries québécoises à s'approvisionner en pétrole lourd de l'Ouest, soutient Stratégies énergétiques.

Au contraire, précise Dominique Neuman, les deux raffineries encore actives au Québec, Ultramar à Lévis et Suncor à Montréal, seront obligées d'investir des sommes considérables pour pouvoir traiter ce pétrole plus lourd.

Un sursis

À lui seul, le renversement de la Ligne 9B d'Enbridge ne garantit pas le maintien des activités des deux raffineries encore actives au Québec, reconnaît le président de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), Simon Prévost.

À long terme, les écarts de prix disparaîtront peut-être, dit-il, mais ce n'est pas pour demain. «Il faudra des années pour que les pipelines qui doivent désenclaver le pétrole de l'Ouest se construisent et que les marchés s'adaptent», a soutenu Simon Prévost, après avoir témoigné pour appuyer le projet d'Enbridge.

En attendant, les raffineries québécoises sont en danger parce qu'elles paient plus cher pour s'approvisionner en pétrole importé. «Il est important de régler ce désavantage», a-t-il souligné.

Une fois qu'elles auront accès à un approvisionnement au même prix que leurs concurrents, les raffineries québécoises n'auront pas réglé tous leurs problèmes pour autant, convient le président de MEQ. «Il faudra qu'elles investissent pour continuer d'améliorer leur efficacité parce qu'elles ne sont pas dans un marché en croissance», dit Simon Prévost.

Un mystère

Personne ne peut vraiment prédire si les écarts entre les différents prix du pétrole, qui sont l'argument principal d'Enbridge pour justifier son projet, sont là pour rester ou non.

Ultramar et Suncor, qui se sont engagées auprès d'Enbridge pour une période de 10 ans, font le pari que ces écarts dureront au moins pour la durée de cet engagement.

Stratégies énergétiques, qui croit au contraire que ces écarts se résorberont rapidement, propose à l'Office national de l'énergie de permettre une inversion rapide du flux du pipeline, d'ici deux ou trois ans, si les conditions de marché changent.

Des opposants au renversement du pipeline d'Enbridge ont perturbé le déroulement des audiences d'hier en lisant tour à tour à haute voix un message s'opposant au projet et à l'exploitation des sables bitumineux. Ils ont été expulsés par la police, présente en force au Palais des congrès, sans opposer de résistance.

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