Manifestations quotidiennes et pétitions recueillant des milliers de signatures, la grogne monte en Roumanie depuis que le gouvernement de centre gauche a ouvert la voie à un projet canadien de mine d'or au coeur de la Transylvanie.

L'exécutif du premier ministre Victor Ponta a approuvé fin août, à la surprise générale, un projet de loi déclarant «d'intérêt national exceptionnel» cette exploitation voulue par la société canadienne Gabriel Resources, qui prévoit d'utiliser 12 000 tonnes de cyanure par an pour extraire 300 tonnes d'or et 1600 tonnes d'argent dans le pittoresque village de Rosia Montana (nord-ouest).

Ce texte, qui doit être débattu au Parlement en septembre, facilite les expropriations et enjoint les autorités locales à délivrer rapidement les autorisations et avis requis par la compagnie, des «privilèges abusifs», selon plusieurs ONG dont Greenpeace.

«Nous appelons au retrait du projet», a indiqué à l'AFP un responsable de Greenpeace Roumanie, Alexandru Riza.

Ce texte «enfreint les droits fondamentaux à la propriété et à un environnement sain», ajoute l'association dans un appel signé par plus de 6500 personnes.

Depuis dimanche, des milliers de personnes dont de nombreux jeunes sont descendues dans les rues des grandes villes, dont Bucarest, pour «sauver Rosia Montana» dans un pays où les manifestations de rue peinent généralement à rassembler.

L'Association pour une Roumanie propre (ARC), qui lutte contre la corruption, a également appelé au retrait du projet, dénonçant la «manière non transparente» dont il a été promu.

L'appel de l'ARC a rallié des centaines de signatures dont celles du réalisateur Corneliu Porumboiu, primé à Cannes pour deux de ses films, de l'artiste contemporain Dan Perjovschi et de l'actrice Cristina Flutur, prix d'interprétation féminine au festival de Cannes en 2012 pour son rôle dans Au-delà des collines.

«Crime culturel»

«J'aime la nature, j'aime la Roumanie et je crois vivement qu'on peut changer quelque chose. Nous ne pouvons plus attendre et tolérer tous ces abus», a déclaré à l'AFP Mme Flutur qui a rejoint tous les soirs cette semaine les protestataires rassemblés place de l'Université à Bucarest.

La mine conduira à la destruction de quatre montagnes autour du village et endommagera une partie de galeries minières romaines uniques, soulignent adversaires et spécialistes.

«Le site de Rosia Montana recèle des vestiges architecturaux et archéologiques d'une valeur inestimable, reconnue par la communauté internationale. Aller de l'avant avec le projet aboutirait à un crime culturel», s'insurge dans une interview à l'AFP Stefan Balici, vice-président de l'association ARA (Architecture, Restauration, Archéologie).

«Nous ne l'accepterons pas et nous disposons encore de recours pour le bloquer», assure-t-il.

Le président de l'Ordre des architectes de Roumanie Serban Tiganas a pour sa part fait part à l'AFP de sa «déception» envers l'hostilité du ministère de la Culture aux démarches de plusieurs associations visant à classer ce site au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Dans une analyse transmise au gouvernement, le ministère de la Justice a critiqué plusieurs articles du texte adopté en conseil des ministres, dont ceux visant les expropriations et les dérogations aux lois en vigueur, qui peuvent être considérés comme «non constitutionnels».

Le ministère a souligné qu'une loi «doit avoir une applicabilité générale et non pas approuver un accord de droit privé».

Le gouvernement a assuré avoir inclus ces recommandations dans une nouvelle version du projet, mais nombre des articles critiqués y figurent toujours, selon des juristes.

Cible des railleries après avoir affirmé qu'en tant que député il votera contre ce texte, M. Ponta a souligné que l'État roumain obtiendrait des bénéfices importants de cette exploitation, citant une augmentation de 20 % à 25 % de sa participation dans la société exploitant la mine, Rosia Montana Gold Corporation (détenue en majorité par Gabriel Resources) et une hausse de 4 % à 6 % des redevances.

«Ce projet apportera d'importants bénéfices économiques, écologiques, culturels et sociaux à la région (...) et à la communauté locale», a affirmé Gabriel Resources qui promet 900 emplois durant les 16 ans d'exploitation.