La guerre déclenchée par le géant minier russe Uralkali sur le marché de la potasse a tourné cette semaine au feuilleton judiciaro-diplomatique avec l'arrestation rocambolesque de son patron au Bélarus.

À la tête du premier producteur mondial de ce minerai à la base des engrais agricoles, pesant plus de dix milliards de dollars en Bourse, Vladislav Baumgertner a été interpellé lundi à l'aéroport de Minsk.

Il venait de rencontrer le premier ministre bélarusse Mikhaïl Miasnikovitch au sujet des conséquences du divorce annoncé le 30 juillet entre Uralkali et son partenaire bélarusse Belaruskali, unis jusqu'alors pour leurs exportations dans une coentreprise, BPC.

Vladislav Baumgertner est accusé, avec d'autres cadres du groupe russe, d'avoir profité de sa position de directeur du conseil de surveillance de BPC pour avoir non seulement servi les intérêts d'Uralkali mais aussi empoché personnellement plus de 100 millions de dollars.

Pour l'expert du centre EkoOM Sergueï Moussienko, proche du pouvoir, les autorités bélarusses peuvent espérer une compensation financière de la part d'Uralkali en échange de relâcher M. Baumgertner.

Le Kremlin a vivement réagi vendredi en demandant sa libération «immédiate» et en prévenant qu'une «politisation» du dossier n'était pas dans l'intérêt de la Russie, ni du Bélarus.

Le Bélarus joue gros en s'attaquant de front à la Russie, dont l'ex-république soviétique est très dépendante économiquement. Il a récemment demandé une aide financière à la Communauté économique eurasiatique menée par la Russie et le Kazakhstan.

Les autorités russes ont d'ores et déjà brandi la menace de représailles économiques. Dès mercredi, les services sanitaires ont critiqué la qualité des produits laitiers bélarusses et la société pétrolière Transneft a prévenu qu'elle devrait réduire ses livraisons de pétrole de 20% au pays en raison de travaux de maintenance.

Si le lien n'a officiellement pas été fait avec la situation d'Uralkali, il ne fait aucun doute pour la presse russe.

Alexandre Loukachenko «considère qu'il est le seul ami» de la Russie dans l'ex-URSS «et qu'on lui pardonnera tout», estime à Moscou Vladimir Jarikhine, de l'Institut des pays de la CEI.

«J'ai bien peur qu'il se trompe. Leur lait et notre pétrole sont des moyens de pression pour la Russie. C'est idiot, mais c'est efficace», ajoute l'expert.

Vendredi, les autorités vétérinaires russes ont en outre annoncé la suspension immédiate des importations de viande de porc bélarusse, invoquant des risques de contamination de peste porcine africaine.

Pour Valéri Karbalévitch, commentateur du service bélarusse de Radio Svoboda, «l'arrestation du directeur général d'Uralkali constitue avant tout une réaction à vif du président bélarusse».

Uralkali a accusé nommément Alexandre Loukachenko, qui dirige le pays d'une main de fer depuis près de 19 ans, d'être responsable du divorce entre les deux groupes, en autorisant Belaruskali à exporter sa potasse hors du cadre de BPC.

La rupture a pour conséquence «de grandes pertes économiques, mais aussi un coup psychologique personnel» porté à M. Loukachenko, poursuit-il.

Le secteur de la potasse est crucial pour le Bélarus, actuellement confronté à une crise financière et à une chute de sa production et des exportations. Belaruskali, détenue à 100% par l'État, représente plus de 10% du budget national.

Or, le démantèlement de BPC, qui représente plus de 40% de la consommation mondiale, a déstabilisé cette industrie: elle signe la fin de l'ère où les grands acteurs du secteur se mettaient d'accord pour limiter leur production et maintenir les prix, s'accordant de confortables marges.

Uralkali a jugé que cette nouvelle concurrence allait se traduire par une chute des prix de la potasse, qu'il compte compenser en dopant sa production. Ces annonces ont entraîné un effondrement boursier de tout le secteur, dont le canadien Potash ou l'allemand K+S, quelque 20 milliards de dollars partant en fumée alors que les investisseurs voient s'éloigner les profits juteux de ces dernières années.

Le groupe russe a une nouvelle fois réfuté vendredi les accusations portées contre son patron et assuré qu'elle maintenait le cap de sa nouvelle stratégie, sous la houlette provisoire du directeur financier Viktor Beliakov.