Une plus grande ouverture aux investisseurs étrangers. Ces nouvelles ont tout pour encourager ceux qui développent des projets de mine. Sauf que vendre un projet d'uranium aux communautés locales est toujours aussi difficile. Ressources Strateco, la société la plus avancée au Québec, doit désormais composer avec l'opposition crie.



L'annonce a visiblement ébranlé la direction de Ressources Strateco. Cela fait trois ans que la société junior tente de vendre son projet d'uranium aux habitants de la nation crie de Mistissini. Le chef Richard Shecapio a rendu la réponse de la communauté lors d'audiences publiques tenues mardi dernier: Mistissini s'oppose au projet.



Dans une époque où l'acceptabilité sociale est devenue incontournable pour la survie d'un projet minier, l'annonce n'est pas mineure. «C'a été une grosse surprise pour nous autres», admet le président et chef de la direction de Strateco, Guy Hébert.

«Depuis 2007, on a travaillé avec le conseil de bande, explique-t-il. On a fait plein de démarches d'information, mais ce n'était pas assez. Il faut maintenant identifier les questions auxquelles nous n'avons pas su répondre. On va essayer de s'expliquer.»

Le projet Matoush est situé à environ 275 km au nord de Chibougamau, au coeur des monts Otish. La minière tente actuellement d'obtenir les permis nécessaires à la construction d'une rampe d'exploration souterraine, qui lui permettra de déterminer si une exploitation est possible et rentable. Des audiences publiques (voir encadré) ont eu lieu à ce sujet mardi et jeudi, à Mistissini et Chibougamau.

À la veille des audiences, le chef de Mistissini, Richard Shecapio, avait convoqué une assemblée pour que la communauté se prononce sur le projet. Les participants ont voté contre à 93%. C'est cette décision que le chef a expliqué aux commissaires en audiences publiques.

Citant notamment les effets à long terme sur l'environnement et les animaux, M. Shecapio a expliqué que l'exploration uranifère «allait à l'encontre des valeurs fondamentales cries».

Le chef s'est dit déçu des réponses fournies par la minière durant le processus de consultation. «Strateco a failli à faire participer la communauté, a déclaré M. Shecapio. Strateco a failli à gagner la confiance des gens.»

Le chef a aussi rappelé le projet de création d'un immense parc national dans la région. Il a dit craindre la coexistence entre un tel parc et un projet minier à proximité.

Le Grand Conseil des Cris, qui regroupe 10 communautés, a apporté son appui à la nation de Mistissini. Dans un communiqué, le grand chef Matthew Coon Come assure que la décision de Mistissini n'a pas été prise à la légère, et qu'elle faisait à la suite de/par suite de des années de réflexion.

Selon M. Coon Come, les Cris demeurent ouverts au développement minier. «Mais la communauté de Mistissini a jugé que dans le cas du projet Matoush, les impacts négatifs potentiels dépassaient largement les bénéfices.»

Le président de Strateco estime néanmoins que «la porte est encore ouverte pour rétablir des ponts avec les Cris». «Je pense que c'est une question d'information, soutient Guy Hébert. On va travailler pour faire changer leur attitude. On ne veut surtout pas s'engager dans une game légale. Il faut aller chercher leur support.» Le chef Richard Shecapio n'a pas rappelé La Presse Affaires.

Les résidus inquiètent

Dans les deux soirées d'audiences publiques, 13 des 17 intervenants se sont prononcés contre le projet. Parmi eux, notons la docteure Isabelle Gingras, qui avait fait partie de la fronde des médecins dans le dossier de l'uranium à Sept-Îles. Des représentants de Mines Alerte Canada et de la Société pour la nature et les parcs du Canada s'étaient aussi déplacés pour l'occasion.

Les principales récriminations des opposants concernaient la gestion des résidus d'une éventuelle mine. La radioactivité de ces résidus suscite l'inquiétude. Plusieurs opposants ont aussi déploré les explications de Strateco jugées insatisfaisantes sur plusieurs aspects du projet.

Strateco a eu quelques moments de répit pendant les audiences. Des familles cries sont venues exprimer leur accord.

La Conférence régionale des élus de la Baie-James (CRÉBJ) a aussi fourni un appui sans équivoque au projet. La mairesse de Chibougamau et présidente de la CRÉBJ, Manon Cyr, a souligné les retombées économiques du projet et soutenu que les risques étaient bien encadrés par une réglementation stricte. Elle n'anticipe pas d'impact néfaste majeur pour l'environnement ou le public.

«Le projet n'arrête pas»

«Mais nous sommes conscients que ce projet ne pourra pas aller de l'avant sans l'appui des Cris de Mistissini», a ajouté la mairesse Cyr.

«L'acceptabilité sociale et environnementale de ce projet situé en plein coeur du territoire traditionnel des Cris n'y est pas, affirme de son côté la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine. La compagnie doit prendre acte de ce refus et retirer son projet.»

«Que la licence soit accordée ou non, le projet n'arrête pas», rétorque Guy Hébert, qui demeure toutefois optimiste sur ses chances de rallier les Cris et d'obtenir la licence. Selon M. Hébert, même si les permis sont refusés, la société pourra continuer de faire des travaux de surface puis tenter à nouveau d'obtenir une licence dans le futur.

Hier matin, Strateco a émis un communiqué en mettant l'accent sur «d'importants appuis» reçus lors des audiences publiques. Elle fait état de l'opposition crie au quatrième paragraphe. Le titre de l'entreprise a bondi de 13,75% hier à la Bourse de Toronto, clôturant à 0,91$.