La fermeture de la raffinerie Shell dans l'est de Montréal est un coup dur pour les 550 employés et les quelque 300 sous-traitants qui y travaillent, mais elle risque ironiquement de donner un important coup de pouce au gouvernement du Québec dans l'atteinte des ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES).

À elle seule, la fermeture de la raffinerie représente 7% des réductions que Québec s'est engagé à réaliser d'ici 2020, selon un calcul de La Presse Affaires basé sur des chiffres fournis par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.

Le chiffre de 7% ne tient pas compte des éventuelles fermetures que Shell pourrait entraîner dans son sillage. Des entreprises comme Marsulex, Cepsa Chimie, Parachem et Selenis Canada font partie de celles qui pourraient tomber sous l'effet domino.

Plusieurs observateurs estiment aussi que la raffinerie montréalaise de Petro-Canada est menacée puisqu'elle partage ses coûts de transport de brut par pipeline avec Shell.

Petro-Canada a émis l'équivalent de 1,5 mégatonne de GES dans l'atmosphère en 2007, soit davantage que Shell avec 1,2 mégatonne.

La fermeture l'an dernier de Pétromont, poids lourd du complexe pétrochimique de Montréal-Est, a déjà retiré plus de 357 000 tonnes de GES du ciel montréalais, soit plus de 2% de l'objectif de réduction de Québec.

Au cabinet de la ministre de l'Environnement, Line Beauchamp, il n'était toutefois pas question de se réjouir de ces diminutions.

«Une fermeture d'usine, ce n'est jamais une bonne nouvelle, tranche l'attaché de presse de Mme Beauchamp, Dave Leclerc. Ce n'est pas comme ça qu'on veut atteindre nos objectifs. Au-delà de cette fermeture, on a des mesures qui vont nous permettre d'atteindre nos objectifs et qui restent en place. Jamais on ne va abandonner une mesure parce qu'une usine va fermer.»

Québec s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20% d'ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Le Québec émettait alors l'équivalent de 83,7 mégatonnes de GES dans l'atmosphère, ce qui implique une réduction de 16,7 mégatonnes d'ici 2020.

On apprenait toutefois cette semaine que les émissions de GES avaient crû de 3,7% entre 2006 et 2007; aux dernières nouvelles, la province produisait donc 5,6% plus d'émissions qu'en 1990.

Marcel Gaucher, directeur du bureau des changements climatiques au ministère de l'Environnement, a tenu à nuancer hier les chiffres de La Presse Affaires. Il souligne que la raffinerie de Shell ne fermera pas complètement et sera transformée en terminal, ce qui fait qu'il y restera une certaine activité industrielle.

Le point le plus important est cependant tout autre. Les 140 000 barils de brut que Shell cessera de transformer en essence et autres produits ne disparaîtront pas de la circulation: ils seront tout simplement traités ailleurs.

D'un point de vue environnemental, les conséquences sur le réchauffement de la planète risquent donc d'être négligeables. Quant à l'impact sur les cibles de réduction de Québec, il faudra voir si la production de Shell sera transférée outre-frontière ou comblée par les deux raffineries qui demeurent dans la province, soit celles de Petro-Canada et d'Ultramar.

Le sort de Petro-Canada étant incertain, André Bélisle, président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), parie que c'est Ultramar, à Lévis, qui récupérera le gros de la production montréalaise de Shell.

Michel Martin, porte-parole d'Ultramar, affirme toutefois que l'affaire n'est pas si simple. Il souligne que la production de Shell est actuellement dirigée vers son propre réseau de distribution et que la multinationale pourrait très bien choisir de combler le manque elle-même en important son essence d'ailleurs.

«Il est prématuré de commenter un quelconque impact sur nous. Shell a ses propres stratégies et il faudra voir», a dit M. Martin.

André Bélisle, de l'AQLPA, souligne que le Québec pourrait faire d'une pierre deux coups en «recyclant» les travailleurs de Shell vers d'éventuelles usines de biométhanisation qui pourraient s'installer à Montréal et dans les environs.