L'agriculture n'est pas un trou sans fond dans lequel le gouvernement lance son argent. Selon une étude publiée hier, les gouvernements tirent davantage d'argent qu'ils n'en injectent dans cette industrie. Et chaque dollar investi dans l'agriculture rapporte plus que si on l'avait placé dans l'industrie forestière, la construction ou l'hôtellerie.

Ce sont les conclusions étonnantes d'une étude de Maurice Doyon, professeur au département d'économie agroalimentaire à l'Université Laval, préparée pour l'Union des producteurs agricoles.

«L'impact économique de l'agriculture au Québec est positif, pas négatif», tranche M. Doyon.

L'étude de l'économiste tombe alors que le gouvernement du Québec a entamé une vaste réflexion sur le soutien qu'il faut donner à nos agriculteurs. En février 2008, le rapport Pronovost avait proposé une réforme en profondeur de l'agriculture québécoise. Ce printemps, un autre rapport, celui de l'ex-sous-ministre Michel St-Pierre, proposait de mettre la hache dans le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles, qui dédommage les agriculteurs en cas de pépin et qui nage en plein déficit parce qu'on verse des sommes records aux agriculteurs depuis plusieurs années.

M. Doyon refuse de plonger dans le débat politique qui entoure l'agriculture québécoise. «Je ne me prononce pas là-dessus, ce n'est pas mon objectif. Ce que je dis, c'est qu'il faut avoir un portrait économique du secteur avant de prendre des décisions.»

Et le portrait que dresse M. Doyon va à l'encontre de bien des perceptions.

Selon les chiffres de l'économiste, les trois ordres de gouvernements ont investi 864 millions de dollars pour soutenir les producteurs agricoles en 2007. Mais en comptant tous les revenus fiscaux, incluant les prélèvements automatiques comme les cotisations sociales déduites de la paie des fermiers (ce que M. Doyon appelle la «parafiscalité»), on dépasse le milliard de dollars. Bilan final: un revenu net de 211 millions.

Le portrait est encore plus intéressant quand on regarde la transformation des aliments. Le secteur n'a bénéficié que de 96 millions en subventions en 2007, mais a rapporté 2,8 milliards en recettes fiscales.

Bref, pour l'ensemble du secteur agricole, la récolte fiscale atteindrait près de 3 milliards de dollars .

«L'agriculture, c'est un investissement, pas une dépense», s'est réjouie Guylaine Gosselin, directrice générale de l'Union des producteurs agricoles (UPA).

Certains diront qu'une étude préparée pour l'UPA ne pouvait que dresser un bilan positif de l'agriculture. Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins, juge toutefois les travaux de M. Doyon «très sérieux» et connaît bien la méthodologie employée par l'économiste.

Plus rentable que l'hôtellerie

L'agriculture ne rapporte évidemment pas que des impôts dans les coffres des gouvernements. Elle emploie aussi des gens (174 000 au Québec) et génèrent des retombées directes évaluées à 7,4 milliards de dollars.

L'agriculture ne compte que pour 2,6% du PIB québécois, ce qui peut paraître négligeable. Attention, dit toutefois M. Doyon: 2,6% du PIB, c'est autant que toute l'industrie de l'hébergement et de la restauration de la province, et davantage que l'industrie forestière, des arts et spectacles ou de l'assurance.

Les investissements en agriculture sont d'ailleurs intéressants à plusieurs égards. Prenez 100 millions et investissez-les chez les fermiers: vous allez générer 1042 emplois, soit davantage que si vous aviez mis la même somme dans la construction (846 emplois), l'industrie forestière (871 emplois) ou la finance et l'assurance (592).

Quant aux retombées économiques qui découleraient de cet investissement, elles seraient évidemment moindres que dans le secteur des services ou du commerce de détail. Mais elles se comparent avantageusement à plusieurs activités du secteur primaire, dépassant entre autres l'industrie de la construction, l'industrie forestière et celle de l'hébergement et de la restauration.

Des productions «marginales»

Si des productions comme le porc, les oeufs, le lait, la volaille, le blé ou le soja dominent l'agriculture québécoise, d'autres comme le boeuf ou l'agneau y sont encore marginales.

À la suite de la publication du rapport St-Pierre, plusieurs avaient suggéré de cesser de subventionner ces activités peu rentables.

Maurice Doyon a voulu voir ce qui arriverait si c'était le cas. Sa conclusion: plusieurs petits villages, qui dépendent fortement de ces productions, seraient tout simplement mis en péril, et une région comme l'Abitibi-Témiscamingue pourrait y perdre jusqu'à 1,4% de sa main-d'oeuvre totale.

L'argent qu'on met dans les petites productions est-il bien investi? «Je ne me prononce pas là-dessus, dit M. Doyon, C'est vrai que pour l'agneau et le boeuf, l'assurance stabilisation paie chaque année et c'est un problème.»

«Mais on a entendu par le passé que ces activités sont insignifiantes. Moi, tout ce que je dis, c'est que les productions non dominantes sont majeures dans certains endroits. Et on ne peut pas rejeter ça d'un revers de main», continue l'économiste, qui affirme qu'il faudra penser à des programmes de transition si on met fin aux subventions.

 

Impact d'un investissement de 100 millions Dans...

Emplois PIB

(personnes-année) (millions de dollars)

L'agriculture 1042 75,8

La foresterie 871 72,6

Pêche et chasse 700 70,4

Les mines et le pétrole 469 74,4

Les services publics 321 97,2

La construction 846 66,5

2,6%

L'industrie de la production et de la transformation alimentaire a contribué à 2,6% de l'économie québécoise en 2007.

174 000

Nombre d'emplois directs, indirects et induits que les activités de production et de transformation des produits agricoles ont généré en 2007.

70%

Près des trois quarts des recettes des producteurs québécois proviennent de la vente aux transformateurs québécois. Dans les autres provinces, ce pourcentage est de 27%.