Le ministre des Ressources naturelles, Claude Béchard, qui vient de faire une tournée de promotion de l'électricité québécoise aux États-Unis, ne l'a pas encore dit mais, pour être rentables, les contrats à long terme devraient être conclus à un prix supérieur à 10 cents le kilowattheure.

Ce prix correspond à ce qu'il en coûte à Hydro-Québec pour construire de nouveaux projets hydroélectriques comme celui de La Romaine, lancé officiellement la semaine dernière.

Selon Hydro, l'électricité de La Romaine coûtera 9,2 cents le kilowattheure, soit 7,3 cents pour l'électricité et 1,9 cent pour le raccordement des nouvelles centrales au réseau. En ajoutant le coût du transport pour acheminer cette énergie jusqu'aux marchés de l'Ontario et de la Nouvelle-Angleterre, on atteint près de 12 cents le kilowattheure.

C'est ce que les économistes appellent le coût marginal de l'électricité. Si Hydro vend moins cher, elle perd de l'argent et elle pourrait être accusée de faire du dumping par d'autres producteurs d'énergie.

Des contrats rentables

À 12 cents le kilowattheure, Hydro-Québec pourrait conclure des contrats rentables pour une durée de 20 ou 25 ans, estime Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval et spécialiste en énergie. «La marge de profit serait toutefois très mince, précise-t-il, et pourrait disparaître complètement s'il y a dépassement de coûts du projet La Romaine.»

L'Ontario et la Nouvelle-Angleterre sont intéressés à conclure des contrats à long terme à ce prix. Si ça arrive, on pourra comparer vraiment les options qui s'offrent à Hydro-Québec, pour tirer le meilleur parti possible de son produit.

L'économiste Jean-Pierre Aubry, président du comité des politiques publiques de l'Association des économistes du Québec, estime que le jour où Hydro signera des contrats à long terme, il deviendra beaucoup plus évident pour tous les Québécois que l'exportation d'électricité est plus rentable que la vente d'énergie à bas prix aux entreprises énergivores comme les alumineries.

Actuellement, les entreprises grandes consommatrices d'électricité plaident qu'Hydro ne peut pas obtenir plus que 5 ou 6 cents le kilowattheure sur les marchés d'exportation et que, si la société d'État augmente la quantité d'énergie exportée, son prix baisse et les exportations deviennent de moins en moins rentables.

Cet argument est valable tant que ce sont uniquement des surplus qui sont exportés sur le marché au jour le jour, où les prix sont généralement bas, explique l'économiste. Dans ce marché de surplus, plus vous exportez et plus le prix baisse, convient-il.

Ce n'est plus vrai dans le long terme. Le retour des contrats à long terme signifie qu'on va pouvoir comparer un contrat d'exportation à long terme avec un contrat d'approvisionnement à long terme d'une aluminerie, qui sont d'une durée similaire, soit 20 ou 30 ans.

«Le coût d'option pour Hydro sera alors très clair pour tout le monde», dit Jean-Pierre Aubry. Il deviendra évident, selon lui, que le Québec fait une très mauvaise affaire en vendant aux alumineries à 4 cents le kilowattheure de l'électricité qui peut être exportée à 12 cents le kilowattheure.

La subvention implicite accordée par le Québec aux alumineries deviendra plus gênante à justifier, estime lui aussi Jean-Thomas Bernard. «Ça l'est déjà beaucoup, mais pas assez, on dirait», a-t-il commenté.

Si le gouvernement québécois veut continuer à subventionner les alumineries, il devrait le faire lui-même et ne pas passer par Hydro-Québec, croit Jean-Pierre Aubry. L'économiste croit que, idéalement, Hydro-Québec devrait vendre son énergie au prix du marché aux alumineries, qui recevraient ensuite une subvention directe du gouvernement du Québec. «Ce serait plus transparent pour tout le monde», estime-t-il.