À mi-chemin entre les employés et la haute direction, les gestionnaires intermédiaires ont un rôle aussi stratégique qu'exigeant. Les organisations peinent pourtant à le reconnaître.

Les cadres intermédiaires feraient partie des travailleurs les plus malheureux et insatisfaits. C'est ce qui est ressorti d'une étude publiée en novembre 2014 dans le magazine américain Harvard Business Review. Ces gestionnaires se disent surchargés, démotivés et peu appréciés.

Rien d'étonnant pour Andrée Mercier, vice-présidente principale, talent, du cabinet de services-conseils Aon Hewitt. « Nous observons le même phénomène », dit-elle, citant des chiffres tirés de la Base de données sur la mobilisation d'Aon Hewitt qui regroupe plus de 500 000 employés répartis dans plus de 600 organisations. Dans les organisations moins mobilisées, 45 % des cadres intermédiaires affirment être heureux contre 60 % des cadres supérieurs. Le portrait est meilleur dans les organisations très mobilisées, mais reste en défaveur des gestionnaires intermédiaires : 79 % déclarent être heureux contre 88 % de leurs collègues de l'échelon supérieur.

« Être cadre intermédiaire est de plus en plus difficile, analyse Andrée Mercier. Toutes les organisations coupent dans leurs dépenses tout en augmentant leur productivité. Ces cadres sont les premiers à en souffrir, car ils doivent livrer la marchandise avec moins de ressources. Ils sont aussi victimes de la guerre des talents puisqu'ils ont du mal à recruter les travailleurs dont ils ont besoin. C'est sans compter le défi que représente la gestion des employés issus des générations X et Y qui sont plus exigeants : ils carburent aux défis et veulent qu'on les aide à développer leur plein potentiel. Ce n'est pas évident... »

L'importance du soutien organisationnel

Tel un milieu de terrain, le gestionnaire intermédiaire est au carrefour de l'action, devant échanger à la fois avec la haute direction, les employés, les collègues cadres d'autres départements, les clients, les fournisseurs... Longtemps perçus comme des bureaucrates inutiles ou de simples courroies de transmission - ils sont d'ailleurs souvent les premiers à faire les frais des restructurations -, les cadres intermédiaires occupent pourtant une place stratégique. Ce que les employeurs ont du mal à reconnaître. « Les organisations font des efforts pour valoriser l'ensemble de leurs employés, mais les cadres intermédiaires sont souvent les grands oubliés », indique Linda Rouleau, professeure à HEC Montréal, qui a longuement étudié le vécu des gestionnaires intermédiaires.

Selon Mme Rouleau, les cadres intermédiaires ont besoin d'un soutien davantage personnalisé qui prend en compte leur expérience pratique, qui varie beaucoup d'un milieu à l'autre, voire d'un gestionnaire à l'autre. « Les employeurs gagneraient à développer leurs cadres intermédiaires, entre autres sur le plan de leurs habiletés relationnelles. Ils en ont besoin puisqu'ils sont constamment en train de négocier, de faire des compromis, d'éteindre des feux, de vendre leurs idées, etc. »

Plus un cadre sera appuyé dans ses tâches par son employeur, plus il sera heureux, démontrent d'ailleurs les données d'Aon Hewitt. Dans les organisations très mobilisées, 8 cadres intermédiaires sur 10 estiment être bien soutenus, alors que dans les organisations faiblement mobilisées, moins de 1 gestionnaire sur 2 affirme la même chose.

Cela dit, Linda Rouleau remarque que les cadres intermédiaires évoluant dans des boîtes où l'organisation du travail est plus éclatée - l'industrie du jeu vidéo, par exemple - sont ceux qui se plaisent davantage dans leurs fonctions. Ils ne sont pas coincés dans une hiérarchie verticale formelle. « Lorsque les gestionnaires intermédiaires utilisent leur marge de manoeuvre pour mettre à profit leur expérience, ils ont alors le sentiment du devoir accompli », dit-elle.

Apprendre à déléguer

Parfois, le cadre intermédiaire n'a que lui-même à blâmer pour son malheur. « Le problème numéro un des cadres insatisfaits est qu'ils ne savent pas déléguer, observe Andrée Mercier. Ils passent trop de temps à vérifier le travail de leurs employés et à demander des comptes. Ils se retrouvent avec une charge de travail épouvantable et perdent la confiance de leur équipe. » D'autres négligent leurs relations avec leurs collègues cadres. « Peaufiner des liens productifs avec ses pairs est loin d'être superficiel, croit Mme Mercier. Au contraire, un cadre devrait y consacrer 30 % de son temps. C'est une des clés du succès ! »

Aujourd'hui, les organisations sont à la recherche de compétences bien spécifiques chez les cadres qu'elles embauchent : « Ils doivent savoir responsabiliser leurs employés, créer un environnement de travail positif, identifier et développer la future génération de talents et favoriser le réseautage », signale Andrée Mercier.

« Une expérience de cadre intermédiaire a du poids dans un CV, rappelle-t-elle. Il faut savoir en tirer profit. »