Autour d'un apéro, le patron d'Émilie* lui fait des avances. La femme de 23 ans s'y oppose et rétorque qu'il est marié. «En plus, une barrière hiérarchique nous sépare», lui lance-t-elle.

Peu de temps après, elle finit par succomber aux charmes de l'homme de 34 ans. «J'étais naïve. Je pensais qu'il était l'homme de ma vie et qu'il laisserait sa femme», raconte Émilie.

Durant la relation, elle a l'appui, le soutien et l'encouragement du gestionnaire. Cela lui donne des ailes pour attaquer les dossiers. Après six mois, un employé dénonce leur liaison. «Tu n'as pas à t'inquiéter, puisque tu couches avec le boss», lance-t-il à la fin d'une réunion. En entendant cette phrase assassine, le gestionnaire impliqué cesse d'adresser la parole à Émilie.

«J'ai appris une dure leçon. Sortir avec son patron n'est pas une bonne idée. On recule au lieu d'avancer. Ce fut une tache à mon dossier. J'ai même reçu un avertissement par écrit», raconte-t-elle.

L'entreprise lui a fortement conseillé de partir. «Tu peux rester, m'a-t-on dit, mais tu n'avanceras pas. Aujourd'hui, je comprends mon erreur.»

Mauvaise perception

Le conférencier et auteur Alain Samson a analysé les conséquences d'une relation entre un patron et un subalterne dans son livre Sexe et flirts au bureau. «Ça provoque un conflit d'intérêts. L'employé a accès, par exemple, à de l'information privilégiée. Si la personne qui couche avec le boss accède à une promotion, les autres vont se demander si la promotion est liée à ses compétences ou à la mobilité de son bassin», dit-il avec sa verve habituelle.

Pour le cadre supérieur, les conséquences sont néfastes. «Dans les grandes entreprises, c'est très mal perçu qu'un gestionnaire s'éprenne d'un ou d'une subalterne. Il risque de plafonner dans son ascension et il compromet sa crédibilité.» Inévitablement, la rupture entraîne une baisse de productivité. «J'ai perdu ma motivation pour le travail», avoue Émilie.

Climat malsain

Des employés jaloux, ajoute M.Samson, vont parfois saboter le travail de celui ou celle qui a une relation avec le directeur. Pendant huit mois, Émilie a surtout ressenti la mauvaise perception des autres. «Mes collègues me percevaient comme une fille faible, assoiffée de pouvoir.»

De son côté, la psychologue organisationnelle Ghislaine Labelle se rend souvent dans les entreprises, advenant le développement d'une liaison amoureuse entre employés.

«Pendant qu'un couple vole sur son nuage d'amour, les autres ressentent un sentiment d'iniquité et c'est là que je dois intervenir», relate-t-elle.

Certaines entreprises sont extrêmement frileuses devant des liaisons amoureuses entre un patron et une employée. «C'est très mal perçu de la haute direction. Les gestionnaires qui ont des postes de responsabilité doivent avoir un comportement irréprochable.» Dans certains cas, les relations sont même interdites et qui s'y adonne risque des conséquences qui peuvent aller jusqu'au congédiement.

«Un cadre très haut placé dans une organisation a admis avoir eu un flirt de plusieurs mois avec une jeune femme. Il est tombé amoureux contre son gré. La direction lui a recommandé de prendre un congé de maladie», affirme Mme Labelle.

«Avoir une relation avec le patron peut avoir quelque chose de grisant pour la subordonnée qui se sent privilégiée. Il faut toutefois penser aux conséquences. Advenant une rupture, on risque de vivre une déception au travail. Bien souvent, c'est le patron qui met fin à la relation, et non l'inverse.»

* Nom fictif

Proscrire les relations amoureuses?

Avocat et spécialiste en droit du travail, Louis Ste-Marie conseille les entreprises en matière de normes et de relations de travail. Des dirigeants lui ont déjà demandé s'il est possible de proscrire les relations amoureuses au bureau. «On ne peut pas justifier une telle interdiction. De nos jours, il ne faut pas se surprendre de voir que deux personnes tombent amoureuses, compte tenu du temps qu'elles passent ensemble au boulot.»

Advenant une relation intime entre collègues, l'entreprise peut muter l'un des protagonistes dans un autre service. «Elle s'organise afin d'éviter les conflits d'intérêts ou toute apparence de favoritisme.»

«L'employeur ne peut pas se laver les mains si une relation se détériore entre un patron et son employée. Il peut alors s'échanger des paroles ou gestes vexatoires qui sont à la limite du harcèlement. C'est à l'employeur de s'assurer d'un climat sain.»

Au début des années 80, le gouvernement a mis en place une loi afin de proscrire le harcèlement sexuel et psychologique au travail. «S'il n'y a jamais eu de consentement, la plainte de harcèlement va tenir la route», conclut Me Ste-Marie.