En théorie, le travailleur autonome est son propre patron et travaille pour des clients. En pratique, il n'est pas toujours si simple de départager celui-ci des employés. Dans certains cas, les parties s'entendent sur un statut qui n'est pas nécessairement reconnu par le fisc. Certains employeurs vont même jusqu'à imposer, à tort, le statut de travailleur autonome.

C'est ce qui est arrivé à Caroline (nom fictif), jeune journaliste. Au terme de sa première semaine de travail, elle a eu la surprise de se faire réclamer une facture par son nouveau patron. Il n'en avait jamais été question lors de l'entrevue. «Je ne décide pas de mon horaire, je suis obligée de travailler sur place et je suis payée à la semaine. Mais je dois tout de même payer davantage à la Régie des rentes et je ne suis pas protégée en cas de perte d'emploi. J'ai vraiment l'impression d'avoir le pire des deux mondes», témoigne-t-elle. Puisqu'elle a besoin de ce travail, elle continue en attendant de trouver un autre emploi.

Flottement coûteux

Mais au moment de poster sa déclaration de revenus, elle était un peu nerveuse. En cas de vérification, le gouvernement pourrait lui rembourser ses cotisations payées en trop, mais les dépenses incluses dans sa déclaration ne seraient plus admissibles. Elle pourrait donc devoir débourser une somme additionnelle, selon Fanny Brodeur, avocate fiscaliste chez Thibault avocats. Quant au patron, la facture pourrait être salée. «Il devra faire rétroactivement toutes les déductions à la source qui auraient dû être faites comme la CSST, l'assurance-emploi, la Régie des rentes du Québec et le Régime québécois d'assurance parentale», indique Me Brodeur. Et ce, pour tous les membres de son équipe n'ayant pas le bon statut.

Aucune protection

En cas de désaccord entre le patron et le travailleur sur le statut de ce dernier, il est possible de faire une demande de décision auprès de Revenu Québec. Environ une cinquantaine de cas sont ainsi traités chaque année. Mais la loi ne protège pas nécessairement l'emploi du travailleur.

«Il peut y avoir un recours seulement s'il y a un changement du statut du salarié sans son consentement, explique Jean-François Pelchat, responsable des relations de presse à la Commission des normes du travail.

Par exemple, un salarié à qui on demanderait du jour au lendemain de produire une facture pourrait avoir un recours. Mais si la personne est travailleuse autonome depuis le début, elle n'en a pas.»

Par ailleurs, il faut savoir qu'un travailleur autonome n'a pas droit à l'assurance-emploi (sauf les prestations de maladie et de compassion s'il s'est inscrit au programme) ni à des indemnisations de la CSST. Peut-on plaider qu'on a été obligé d'accepter ce statut pour obtenir néanmoins des prestations en cas d'accident de travailpar exemple? «Je n'ai jamais vu ce type de recours. En principe, on doit avoir une couverture d'assurance avant d'avoir un accident pour être couvert. Mais est-ce que c'est plaidable? Moi, je l'essaierais certainement», assure Martine Desroches, avocate au cabinet Desroches Mongeon.

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Déterminer le bon statut

Le fait de se considérer ou d'être considéré par un employeur comme travailleur autonome ne suffit pas à déterminer son statut fiscal. Revenu Québec se base sur six critères dont le plus important est la subordination dans le travail, ce qui signifie qu'un employeur contrôle l'exécution du travail, notamment l'horaire et le lieu. Ensuite, le fisc considère qu'un travailleur autonome a la possibilité de faire des profits, mais court aussi le risque de subir des pertes. Il doit également payer lui-même ses dépenses. La propriété des outils, l'attitude des parties quant à leur relation d'affaires, l'intégration à l'entreprise des tâches effectuées par le travailleur et le mandat de ce dernier sont les autres critères pris en compte. Récemment, Revenu Québec a révisé ses critères pour s'adapter à la réalité des informaticiens travailleurs autonomes qui travaillent souvent chez un seul client pendant plusieurs mois. Le fisc analysera entre autres la situation sur une période de trois ans au lieu d'une. « L'importance à accorder à certains faits a été nuancée. Il est probable qu'une telle approche soit utilisée lors de l'analyse de certains dossiers dans d'autres domaines », indique Stéphane Dion, porte-parole de Revenu Québec.