Selon une étude de Statistique Canada, les travailleurs de quarts ont un déséquilibre travail-vie personnelle à 23% plus élevé que les travailleurs de jour. Ils s'inquiètent également davantage de ne pas consacrer assez de temps à leur famille.

«C'est difficile, dit Bernard, qui travaille dans une usine de pâtes et papiers. À chaque fois que ma fille a une activité spéciale à l'école, comme un spectacle de musique, je ne peux pas prévoir si je serai présent. Parfois je suis obligé de la décevoir à cause de mon travail.»

 

De tous les horaires atypiques, le travail de nuit est le plus susceptible de provoquer des problèmes de santé.

«Travailler de nuit n'est pas naturel, dit Marc Hébert, chercheur au centre de recherche Université Laval Robert-Giffard. L'horloge biologique fait jouer les rythmes du corps de façon optimale pendant le jour et certaines hormones sont synchronisées pour favoriser le sommeil pendant la nuit. Si vous demandez à quelqu'un de travailler pendant cette période, il doit combattre son horloge en plus de travailler.»

Les travailleurs de nuit sont plus susceptibles de souffrir de problèmes cardiaques, gastriques, d'obésité, de fatigue chronique, de dépression et même de cancer.

Au Danemark, on a récemment indemnisé 37 femmes atteintes d'un cancer du sein, qui est reconnu depuis deux ans comme une maladie professionnelle chez les travailleuses de nuit. La plupart travaillaient dans le milieu hospitalier.

La science apporte des solutions

Tant qu'il y aura des hôpitaux, des patrouilles de police et des usines qui roulent 24 heures sur 24, il faudra bien des travailleurs de nuit. Marc Hébert et son équipe sont donc à la recherche de solutions pour aider ces personnes à mieux supporter cette planche horaire de travail. Ils ont mis au point une méthode testée il y a quelques années dans une usine d'Abitibi-Bowater. L'objectif était de déjouer l'horloge biologique des travailleurs en la trompant avec des lumières.

On a exposé les employés à une lumière bleu-vert de faible intensité pendant leur quart de travail durant une semaine. Après deux nuits, ils étaient plus performants et leur taux d'erreurs habituel de 5% avait chuté de moitié la première nuit et à 1,5% la seconde.

«Les travailleurs nous ont dit qu'ils constataient un effet positif, dit Marc Hébert. Ils se sentaient plus éveillés et trouvaient le travail plus facile.»

De plus, on a fourni aux mêmes travailleurs des lunettes orangées qu'ils devaient porter pour conduire en revenant à la maison le matin, de façon à bloquer le plus de lumière possible avant d'aller dormir. Ces verres orangés bloquent la lumière bleue, qui est la seule à être perçue par l'horloge biologique.

Les résultats ont été concluants.

Lors d'une expérience similaire avec des employés de nuit du centre de tri de Postes Canada, on a constaté que les participants parvenaient à dormir 30 minutes de plus par jour.

Le docteur Hébert travaille maintenant à mettre au point une technologie portable, avec une nouvelle modalité lumineuse pour laquelle on a déposé un brevet. Cette lumière de faible intensité pourra être utilisée sur des casques de sécurité, ou à la manière d'un casque d'écoute pouvant être utilisé par tous les types de travailleurs.

De plus, les lunettes orangées devraient être bientôt commercialisées et disponibles dans certaines succursales d'une lunetterie avec laquelle on négocie une entente, selon Marc Hébert.

D'ici là, pour favoriser le sommeil de jour, il est conseillé de porter des verres fumés ordinaires pendant le retour à la maison pour bloquer la lumière, car l'horloge biologique y est particulièrement sensible le matin. On devrait aussi en porter si on est obligé de se lever pendant le jour.

Le docteur Hébert offre quelques conseils aux travailleurs de nuit pour mettre toutes les chances de leur côté.

«D'abord, ils devraient éviter les repas lourds et la malbouffe pendant la nuit, car les enzymes digestifs ne sont pas produits de la même façon par le corps, dit-il. Ils doivent aussi éviter le café après quatre heures du matin, car son effet se fera sentir plus tard et risque de perturber le sommeil.»

Certains travailleurs de nuit ont la possibilité de dormir un peu sur leur lieu de travail pendant une partie de leur quart. «Ils devraient éviter de d'accumuler leurs pauses pour dormir plus longtemps, car ils risquent d'entrer en phase de sommeil profond et, au réveil, ils sont susceptibles de commettre des erreurs, ajoute le docteur. Mieux vaut faire des petites siestes énergisantes ne dépassant pas 15 à 20 minutes.»