Apparent paradoxe: à l'heure où les centres commerciaux chinois voient leurs ventes se tasser face à l'essor des achats sur internet, le mastodonte du commerce électronique Alibaba leur fait les yeux doux, enchaînant les rapprochements avec des chaînes de magasins en brique et mortier.

Le numéro un de la vente en ligne en Chine a annoncé lundi un partenariat stratégique avec un géant local de la distribution, Shanghai Bailian.

En s'associant à ce conglomérat étatique contrôlant 4700 établissements à travers la Chine (supermarchés, grands magasins, boutiques de proximité, pharmacies...), l'idée est de favoriser les interactions entre points de vente physiques et plateformes de cybercommerce.

Cette coopération, pour laquelle aucun détail financier n'est dévoilé, «marque une étape-clé, la distinction entre commerce physique et vente en ligne devient obsolète», s'enthousiasme Daniel Zhang, directeur général d'Alibaba.

Déjà, Alibaba avait déboursé à l'été 2016 plus de 4,6 milliards de dollars US pour acquérir 20% des parts de Suning, une populaire chaîne chinoise de magasins d'électronique et d'électroménager.

Frontières qui s'estompent

Nombre de jeunes Chinois font désormais du lèche-vitrine en consultant leur écran de portable, afin de comparer les prix et commander en ligne, tout en ayant essayé l'objet en magasin.

Près de 80% des achats sur les plateformes d'Alibaba sont maintenant réalisés via les téléphones intelligents, contre seulement 65% un an auparavant.

Les magasins physique, plaide donc Alibaba, doivent intégrer les informations concernant les achats et réactions des clients sur les plateformes électroniques-- afin d'adapter en conséquence leurs stocks, leurs commandes et mieux sélectionner leurs produits.

Alibaba pourra fournir à Bailian les données pertinentes et technologies nécessaires pour les traiter, tout en introduisant dans les boutiques des options comme la reconnaissance faciale ou son propre système de paiement électronique, Alipay.

En échange, Alibaba prendra en compte sur ses plateformes, via la géolocalisation, le réseau des magasins Bailian et leurs programmes de fidélité, tout en étudiant des coopérations logistiques.

Déjà, l'an dernier, le groupe avait expliqué qu'il profiterait du maillage très serré des magasins Suning (1600 points de vente et 3000 points de services après-vente dans toute la Chine) pour améliorer ses circuits de livraison de colis.

Pour Bailian, l'avantage de ce colossal allié est évident: l'entreprise a vu ses ventes reculer de 3% au premier semestre 2016.

Alibaba n'a évoqué aucun investissement, mais «cela s'explique par le fait que Bailian est un groupe public: dans un premier temps, ils intensifieront simplement leur coopération, avant une possible entrée d'Alibaba au capital», souligne Nell Lu, analyste du cabinet Business Connect China.

Un public élargi?

Du côté d'Alibaba, le virage stratégique s'impose tout autant, explique à l'AFP l'économiste indépendant Li Chengdong, spécialiste du secteur: «Sa dynamique de ventes s'essouffle, il connaît un clair ralentissement de son nombre d'usagers».

Certes, Alibaba compte une base d'environ 500 millions de consommateurs, mais l'envolée des dernières années se tasse: «Il y a un public hors d'internet qu'il ne touche pas» et «l'écrasante majorité des ventes de détail demeure hors-ligne», insiste M. Li.

Le secteur de la vente de détail en Chine, qui pèse 4,5 milliards US, croît d'environ 10% par an, soutenu par un gouvernement désireux de doper la consommation, mais seul un dixième des ventes se réalise sur internet.

Avec Bailian, Alibaba peut espérer attirer une nouvelle catégorie d'acheteurs.

Dans le même temps, le groupe est confronté à l'émergence de plateformes de cybercommerce rivales: JD.Com connaît un insolent succès. La plateforme de vente de professionnels à particuliers gérée par Alibaba, Tmall, contrôle seulement la moitié du marché.

Autant de facteurs qui incitent l'ambitieux Jack Ma, le fondateur d'Alibaba, à diversifier son groupe, depuis les contenus de divertissement et la finance en ligne jusqu'au stockage informatique en «nuage».

Les annonces s'accélèrent: Alibaba s'est proposé en janvier d'acquérir une participation majoritaire dans l'opérateur chinois de grands magasins Intime pour 2,55 milliards US.

Coïncidence: aux États-Unis, Amazon --miné par un alarmant ralentissement de croissance-- teste lui même depuis décembre à Seattle un magasin physique de 170 m2 où il propose des produits alimentaires, prélude d'un réseau de boutiques «Amazon Go»... où les consommateurs «ne feront jamais la queue».