L'entente survenue hier dans les Couche-Tard (T.ATD.B) syndiqués du Québec a pris par surprise deux professeurs en relations industrielles qui ont suivi le dossier de près. Ceux-ci s'attendent maintenant à ce que la direction de la chaîne de dépanneurs applique progressivement les conditions négociées à l'ensemble de ses établissements non syndiqués de la province.

« Qu'il y ait une entente collective négociée plutôt qu'une convention imposée par une décision arbitrale comme au Walmart de Saint-Hyacinthe ou au McDonald's de Rawdon, c'est au-delà de mes prédictions, confie Michel Grant, professeur associé en relations de travail à l'Université du Québec à Montréal. Qu'il n'y en ait pas juste un [dépanneur], mais bien six d'un coup, c'est déjà un bon signe », ajoute-t-il.

Lundi, la CSN et Couche-Tard ont signé une convention collective de trois ans dans les six dépanneurs syndiqués employant 70 personnes. Les travailleurs ont obtenu certains gains en matière de santé et de sécurité au travail. Le principe de l'ancienneté a été reconnu. Des augmentations de salaire ont été consenties en plus de deux journées de congé payées.

L'entente de principe règle aussi les indemnités à verser aux 24 travailleurs syndiqués qui ont perdu leur emploi avec la fermeture de deux Couche-Tard en 2011. En contrepartie, la CSN a retiré l'ensemble des plaintes logées à la Commission des relations du travail.

La CSN a parlé hier d'une victoire importante pour le mouvement syndical grâce à cette percée dans le milieu des dépanneurs, où les syndicats étaient jusqu'alors exclus.

Sans parler de triomphe ou de victoire, M. Grant reconnaît que la CSN a maintenant des arguments pour approcher d'autres magasins Couche-Tard : « Vous voyez, vous pouvez améliorer vos conditions de travail, sans grève. »

La balle dans le camp de Couche-Tard

Alain Barré, professeur en relations industrielles de l'Université Laval, préfère voir le texte de la convention collective avant de déclarer un gagnant et un perdant. Il recommande par ailleurs à Couche-Tard d'étendre les conditions de travail négociées à l'ensemble de ses employés au Québec, sans tarder.

« Couche-Tard devrait adopter cette façon de faire. Autrement, elle ouvre tout grand la porte à la CSN, dit-il. S'il y a un écart trop prononcé dans les conditions de travail, les travailleurs des dépanneurs non syndiqués vont être forcément tentés d'aller dans la voie de la syndicalisation maintenant que les employés réalisent qu'il n'y aura pas de conflit. »

Toujours selon le professeur Alain Barré, les coûts associés aux multiples procédures rattachées au conflit ont incité la CSN et Couche-Tard à s'entendre. « Les parties ont fait les bons calculs et ont conclu qu'il valait mieux s'entendre pour limiter les coûts », dit-il.

L'image de l'entreprise, ternie par ce conflit, a pu aussi jouer un rôle, croit M. Barré.

De son côté, Michel Grant s'interroge à savoir si l'acquisition des dépanneurs syndiqués de Statoil en Europe l'an dernier aurait pu contribuer à modifier les perceptions de la haute direction de la chaîne au hibou rouge à l'égard des syndicats.

Les deux professeurs sont impatients de voir comment la convention collective sera appliquée dans les dépanneurs.

Compte tenu du fort taux de roulement du personnel dans les dépanneurs, il faudra voir, préviennent-ils, si les dépanneurs syndiqués seront en mesure de conserver leur accréditation syndicale au terme du contrat de travail dans trois ans.

C'est d'ailleurs ce qui s'était produit au Walmart de Saint-Hyacinthe en 2011. Une majorité de travailleurs avaient exprimé leur volonté de se désaffilier de leur syndicat. Le syndicat avait été formé en 2005. Une première convention avait été imposée par un arbitre en 2009, sans gain manifeste pour les travailleurs.