Un revolver appuyé sur le sternum. Robin Maranda, caissière au dépanneur maintenant fermé de la rue Saint-Denis, dans le quartier La Petite-Patrie, est incapable de s'enlever l'image de sa tête. «J'ai eu un hold-up. Si j'arrête une journée, je ne suis pas payée.» Bienvenue chez Couche-Tard (T.ATD.B), où la vie au travail n'a pas toujours la couleur d'une Sloche Paparman.

Le vol à main armée est survenu en mars dernier. Comme tous les préposés à la clientèle de Couche-Tard, la mère seule de 24 ans n'a pas droit aux congés de maladie ni aux assurances collectives. Aujourd'hui, elle est sans emploi. Le 6 avril, la chaîne a fermé son dépanneur du 6430, rue Saint-Denis pour cause de non-rentabilité. Robin et ses collègues de travail avaient déposé une requête en accréditation syndicale trois semaines plus tôt.

Couche-Tard a décliné notre demande d'entrevue.

La CSN et Alimentation Couche-Tard, deux géants du monde du travail, mènent une bataille rangée dont l'enjeu est la syndicalisation des travailleurs de dépanneurs. Il y a deux jours, la centrale syndicale a annoncé que trois autres dépanneurs de la chaîne avaient obtenu leur accréditation syndicale.

Pour la centrale syndicale, l'enjeu est d'améliorer les conditions de travail de ces employés qui font le travail de commis en épicerie, mais sans profiter des mêmes avantages. De son côté, l'employeur tient à préserver ses marges bénéficiaires minuscules et son pouvoir de gestion.

Témoignages

Au-delà des communiqués ou des vidéos diffusés par le syndicat ou l'employeur, La Presse Affaires a voulu connaître les réelles motivations des parties dans ce qui a toutes les possibilités de se transformer en un long feuilleton.

Nous sommes allé rencontrer des travailleurs des établissements nouvellement syndiqués de la chaîne de dépanneurs: une mère seule et son enfant, une caissière de 50 ans, un père de famille trentenaire, une décrocheuse qui n'a pas 20 ans. Nous leur avons parlé dans la cuisine d'un logement à Saint-Liboire, en Montérégie, dans un Tim Hortons de la rue Masson à Montréal et dans un bureau au quartier général de la CSN. Nous voulions savoir pourquoi ces travailleurs prennent le risque de se syndiquer. Après tout, le commerce de détail est peu propice à la syndicalisation et les gains salariaux potentiels paraissent d'emblée limités. Quels sont leurs objectifs? Un dollar, deux dollars l'heure de plus? Pourquoi travaillent-ils chez Couche-Tard s'ils y sont malheureux?

Ils ont laissé parler leur coeur, et ce n'était pas joli à entendre. Selon ces travailleurs, les «chouchous» du gérant obtiennent les meilleures plages horaires, peu importe le nombre d'années de service; quand le gérant «n'aime pas la face» de l'employé, il réduit ses heures sans explications; les accidents de travail sont systématiquement contestés par l'employeur, etc.

«On fait ça pour obtenir le respect, dit Anne Cleary, 50 ans, entre deux bouffées de cigarette. Récemment, j'ai demandé à consulter mon dossier d'employé, j'ai reçu un avis disciplinaire le lendemain pour des niaiseries.»

Depuis juillet 2007, Mme Cleary travaille comme préposée à la clientèle au dépanneur de Saint-Liboire, à 20 kilomètres à l'est de Saint-Hyacinthe le long de l'autoroute 20. Il s'agit sans doute du plus grand Couche-Tard de la province avec une trentaine d'employés. Le dépanneur compte cinq caisses enregistreuses et un comptoir de service à l'intention des camionneurs. Le relais routier compte aussi un Tim Hortons, un St-Hubert Express, des pompes à essence Irivng et des pompes de diesel pour les camions. Au bout du terrain, tout près de l'autoroute 20, une remorque a été transformée en chapelle.

Mme Cleary ne compte pas que sur des prières pour améliorer son sort. Elle veut une augmentation de salaire. Elle gagne 9,95$ l'heure après quatre ans de service à temps plein. Cela fait un salaire brut de 19 900$ avant impôt. Le salaire minimum a été relevé à 9,50$ l'an dernier. Il passera à 9,65$ le 1er mai.

Pourquoi rester chez Couche-Tard si la paie n'est pas bonne? «J'adore mon travail», répond la dame, avec conviction. Avant, elle tenait la caisse pour la station d'essence qui a été démolie pour faire place au Couche-Tard. Assise à ses côtés, autour de la table à cuisine de Mme Cleary, Nancy Laforce, 28 ans, tient le même discours.»J'aime Couche-Tard», insiste-t-elle. Elle ne regrette pas le moins du monde son emploi précédent dans une shop de plastique, située au beau milieu du village. L'usine a fermé pendant la récession. Nancy a été engagée par Couche-Tard en août 2010.

Toutefois, Nancy en a contre l'attribution arbitraire des horaires. Elle travaille de nuit deux jours sur cinq. Les trois autres journées, elle est de soir. Elle élève seule son jeune fils et voudrait être mutée de jour. «Je demande le changement. On me répond que ce n'est pas possible. Mais il y a des nouvelles qui travaillent de jour», se plaint-elle.

Des accidents à répétition

On sonne à la porte du logement. Arrive Kassandra Lanteigne, 19 ans. Elle porte les couleurs de son employeur. Elle prend quelques minutes pour raconter son accident de travail avant de filer au travail. Le 4 novembre 2009, elle faisait le ménage de soir. Elle devait déplacer des caisses de bière pour débarrasser le plancher. Elle a subi une entorse lombaire. Elle en a eu pour quatre mois à s'en remettre. L'employeur a contesté. «Il n'accepte pas qu'on se blesse», dit-elle. Elle s'est défendue toute seule jusqu'à la Commission des lésions professionnelles (CLP), qui lui a donné raison sur toute la ligne le 24 février dernier. «J'ai trouvé ça dur de faire le processus seule», dit-elle. Un syndicat aurait été utile.

Nous avons répertorié 61 décisions de la CLP concernant Couche-Tard depuis le 1er janvier 2008. Huit cas sur dix concernent des femmes. La moitié d'entre elles souffrait d'entorse lombaire. Couche-Tard met-elle en place des mesures de prévention ou se contente-t-elle de contester la réclamation à la CSST? Silence radio.

Luis Donis, père de famille de 32 ans, n'a pas subi d'accident ni de hold-up depuis quatre ans au dépanneur du 2500, rue Jean-Talon Est, premier Couche-Tard syndiqué. Il y était gérant adjoint jusqu'à tout récemment. Il gagne 11,60$ l'heure. L'arrivée d'une nouvelle coordonnatrice, la supérieure des gérants de magasins, a entraîné sa rétrogradation. « (Avec Couche-Tard), tu fais l'affaire aujourd'hui. Demain, tu ne la fais plus», résume-t-il.

On le rencontre au terme de sa journée de travail à 18h30 au Tim Hortons, à Rosemont. Il se prépare à se rendre à son second boulot, comme mécanicien dans un garage des Basses-Laurentides, où il demeure. Craignez-vous la fermeture de votre dépanneur? «Pantoute, dit-il serein. Ils ne pourront trouver aucune excuse. Ils voient que notre équipe est forte et qu'on se tient.»

Les négociations devant mener à un premier contrat de travail négocié au Couche-Tard, rue Jean-Talon, devraient débuter d'ici une semaine. À temps pour la saison des Sloches.

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NORMES DU TRAVAIL: PLUS DE PLAINTES QUE WALMART

Plaintes déposées à la Commission des normes du travail du Québec*

31 dossiers actifs Couche-Tard

> 5000 employés au Québec

26 dossiers actifs Walmart

> 12 000 employés auQuébec

* en date du 28 avril

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DATES IMPORTANTES

11 janvier 2010

Dépôt de la requête en accréditation syndicale du Couche-Tard du 2500, rue Jean-Talon Est

13 janvier

Opération «cartes d'affaires» par la CSN dans les Couche-Tard de la région de Montréal

14 janvier

Demande d'ordonnance provisoire et permanente de Couche-Tard à la Commission des relations du travail (CRT) pour que cesse l'opération «cartes d'affaires»

19 janvier

La CRT rejette la demande d'ordonnance provisoire de Couche-Tard concernant l'opération «cartes d'affaires»

3 février:

L'opération «carte d'affaires» se déplace en province

7 février:

Accréditation du syndicat au Couche-Tard du 2500, Jean-Talon Est

28 février

La CRT rejette la demande d'ordonnance permanente de Couche-Tard concernant l'opération»cartes d'affaires»

5 mars

Dépôt de la requête en accréditation du Couche-Tard du 1400, boulevard Édouard, à Saint-Hubert (Longueuil)

11 mars

La vidéo d'Alain Bouchard, dans laquelle il évoque la fermeture des dépanneurs syndiqués, est rendue publique sur l'internet.

11 mars

Dépôt de la requête en accréditation du Couche-Tard du 6430, rue Saint-Denis, à Montréal

22 mars

Dépôt de la requête en accréditation du Couche-Tard de Saint-Liboire, en Montérégie

28 mars

La CSN porte plainte à la CRT contre la vidéo interne d'Alain Bouchard pour entrave, intimidation et menaces pour activités syndicales

6 avril

Fermeture définitive du dépanneur du 6430, rue Saint-Denis, à Montréal à 23h30

12 avril

Accréditation du syndicat au Couche-Tard du 6430, rue Saint-Denis, à Montréal

15 avril

Accréditation du syndicat au Couche-Tard de Saint-Hubert

20 avril

Accréditation du syndicat au Couche-Tard de Saint-Liboire

À venir

Dépôt d'une plainte à la CRT par la CSN concernant la fermeture du Couche-Tard du 6430, rue Saint-Denis