«Les meubles, les étagères, l'équipement: tout doit être vendu.»

Cet écriteau, placé bien en évidence à l'entrée du Circuit City de Paramus, au New Jersey, ne laisse planer aucun doute. Les affaires vont mal. Le magasin d'électronique, aux tablettes dégarnies, fermera d'un jour à l'autre. Les employés ont la mine basse.

Pas besoin de rouler longtemps pour tomber sur d'autres géants en difficulté. À quelques kilomètres de là, le centre de décoration Expo, filiale de Home Depot [[|ticker sym='HD'|]], est lui aussi en mode liquidation. Les armoires de cuisine, robinets et autres luminaires sont soldés jusqu'à 40%. Un ouvrier s'affaire déjà à détruire une salle de bains-modèle à coup de masse, malgré les clients qui passent.

 

«Pourquoi on ferme? La faute de l'économie...» dit une vendeuse d'un certain âge, résignée.

Les scènes comme celles-là se sont multipliées ces derniers mois aux États-Unis, avec la dégradation accélérée de l'économie. Par prudence ou par nécessité, les Américains s'agrippent plus que jamais à leur portefeuille. Et suppriment les dépenses superflues.

Il suffit de faire une petite tournée des magasins pour constater la frilosité des consommateurs. À Levittown, en banlieue de New York, les stationnements des centres commerciaux sont presque déserts en ce mercredi matin, peu avant l'heure du midi.

Filene's Basement, un détaillant de vêtements très populaire au sud de la frontière, liquide justement l'inventaire de sa succursale de Levittown au moment du passage de La Presse Affaires. À l'intérieur, les fourrures et les autres articles sont soldés jusqu'à 90%. Mais pourtant, l'immense commerce est presque désert.

Les grands magasins de Manhattan vivent eux aussi des heures sombres, malgré le bassin immense de gens - et de touristes - qui grouille dans la ville. Au légendaire Macy's, dans la 34e rue, c'est loin d'être le calme plat, mais beaucoup de visiteurs font du lèche-vitrine plutôt que des achats. Les caissières ont le temps de souffler.

«On voit beaucoup de gens, surtout dans la section des femmes, mais ils n'achètent pas à moins qu'il y ait de gros soldes», confie un analyste du département de marketing de Macy's, dépité, qui a demandé à garder l'anonymat.

Les commerces indépendants sont loin d'être épargnés par la crise. Dans certains quartiers de Manhattan, on voit de plus en plus de locaux vides. Des pancartes «à louer» apparaissent çà et là. Une vision rare pendant le boom presque ininterrompu qu'avait connu la Grosse Pomme depuis 15 ans.

Frilosité

Les emplois dans le secteur du détail, longtemps abondants, sont aujourd'hui difficiles à dénicher. Harry Braunstein, ex-travailleur de Wall Street au chômage depuis quelques mois, l'a réalisé à ses dépens après avoir fait plusieurs demandes d'emploi infructueuses dans des magasins de la région new-yorkaise.

«Auparavant, on disait qu'on pouvait toujours retomber sur ses pattes dans l'industrie de la vente, mais ce n'est plus le cas», dit le jeune père de famille, rencontré dans un café de Brooklyn Heights.

La situation de l'économie américaine est préoccupante, reconnaît Samuel Craig, professeur de marketing à la New York University. Mais selon lui, les consommateurs paniquent un peu trop, ce qui amplifie les difficultés des détaillants. Une frilosité qui risque d'entraîner des conséquences critiques.

«À court terme, le pendule tend trop du côté de la précaution, avance M. Craig. Il devrait y avoir un juste milieu entre l'optimisme extrême d'il y a un an et le pessimisme extrême qui sévit aujourd'hui.»

La confiance, essentielle à la consommation, sera cependant difficile à rétablir, dit le professeur. En fait, tant que les Américains ne sentiront pas que le vrai «creux» de l'économie a été atteint, les commerces continueront à éprouver de vives difficultés. Et à fermer leurs portes.

«Il faudra avoir au moins trois mois consécutifs de stabilisation et d'amélioration - moins de saisies immobilières, moins de pertes d'emplois, de nouvelles embauches dans les entreprises - avant que le citoyen moyen constate un changement et se dise: oui, ça va mieux», fait valoir Samuel Craig.

L'économiste Lynn Franco, directrice des études de consommation au Conference Board à New York, s'attend à une multiplication des faillites comme celles de Circuit City et Linen&Things. «Les conditions de crédit et le recul des dépenses des consommateurs vont accroître la pression sur les détaillants dont l'équilibre financier est précaire. Tout le monde s'entend pour dire qu'il y aura d'autres faillites.»

La plus récente étude du Conference Board - qui mesure le degré de confiance des consommateurs - est venue prouver cette semaine que les Américains ont vraiment, mais vraiment le moral dans les talons. Cet indice a plongé ce mois-ci à 25 points, son niveau le plus bas depuis sa création en 1967.

«Tous les achats qui ne sont pas nécessaires, les articles discrétionnaires et les dépenses qui peuvent être reportées, c'est cela que les consommateurs laissent tomber et continueront laisser tomber au cours des prochains mois», dit Lynn Franco.

La chute continue des ventes au détail, observée depuis l'été dernier, risque donc de se poursuivre dans tout le pays. Entre juin et janvier, les ventes mensuelles totales sont passées de 384 milliards à 345 milliards de dollars dans les magasins et restaurants du pays, selon les données du département américain du Commerce.

Sans mettre la clé sous la porte, plusieurs géants du commerce de détail et de la restauration ont annoncé des mesures vigoureuses de réduction des coûts depuis l'automne. Home Depot fermera plusieurs magasins et licenciera 5000 personnes; Starbucks [[|ticker sym='SBUX'|]] se départira de centaines de cafés aux États-Unis; Macy's abandonnera ses 11 magasins les moins performants. Et la liste est loin d'être exhaustive.

Au milieu de ce climat maussade, les magasins à bas prix - et surtout le géant Wal-Mart [[|ticker sym='WMT'|]] - devraient bien tirer leur épingle du jeu, dit le professeur de marketing Samuel Craig.

«Les consommateurs ont encore besoin d'acheter des choses, mais ils veulent payer moins cher, explique-t-il. S'ils ont besoin d'une nouvelle télé, plutôt que d'aller chez Best Buy, ils iront peut-être chez Wal-Mart.»

Les résultats du groupe au quatrième trimestre de 2008, en pleine tourmente financière, semblent donner raison à l'expert. Wal-Mart a vu ses ventes bondir de 1,7%, à 108 milliards de dollars américains. Ce qui ne l'a pas empêché de licencier de 700 à 800 personnes il y a deux semaines à son siège social de Bentonville...