Appelons cela l'art de la non-négociation. Alors que débute cette semaine, près de Washington, la quatrième ronde de renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), un consensus semble se dégager: la série de positions de négociation intenables des États-Unis pourrait faire partie d'un plan du président Donald Trump pour paver la voie au retrait de son pays de l'accord commercial afin de plaire à sa base électorale.

Certains citent par exemple une proposition de type «Buy American», qui limiterait l'accès des entreprises canadiennes et mexicaines aux appels d'offres publics d'approvisionnement, déposée lors de la troisième ronde de discussions à Ottawa il y a deux semaines.

Mais d'autres tuiles pourraient tomber lors de la nouvelle ronde de négociations, lorsque les États-Unis vont s'aventurer dans un autre dossier litigieux: obtenir un plus grand accès à l'industrie laitière protégée du Canada.

Selon un avocat américain spécialisé dans le commerce international, Dan Ujczo, les propositions américaines ressemblent de plus en plus à des «pilules empoisonnées».

L'avocat de la firme Dickinson Wright, établie en Ohio, soutient que ni le Canada ni le Mexique ne peuvent accepter les propositions américaines.

Dan Ujczo revient à l'exemple du projet «Buy American» pour démontrer l'irréalisme de la situation, alors que les États-Unis veulent obtenir un plus grand accès aux appels d'offres publics du Canada et du Mexique tout en barrant l'accès à leurs propres appels d'offres.

Risque sérieux

«On ne s'en va nulle part. C'est clair. Les États-Unis ont mis quelques propositions ridicules sur la table. La seule raison pour faire ce genre de propositions, c'est de ne pas vraiment vouloir conclure une entente», a commenté le président du syndicat canadien Unifor, Jerry Dias.

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré au sujet de cette proposition «Buy American» que le Canada «souhaite encourager son voisin immédiat à rencontrer le niveau d'ambition déjà atteint avec nos partenaires» européens. Dans l'entente conclue avec l'Union européenne, les appels d'offres publics sont ouverts aux deux parties.

Robert Zoellick, ex-président de la Banque mondiale et ex-représentant au Commerce sous George W. Bush, croit aussi qu'il existe un «risque sérieux» que l'ALENA disparaisse à cause de l'approche de Donald Trump.

Le stratège en commerce international Peter Clark, qui a participé aux premières négociations ayant mené à la signature de l'ALENA dans les années 1990, estime que l'attitude des États-Unis est un exemple sans précédent de ce qu'il ne faut pas faire lors d'une négociation. Il est convaincu qu'il s'agit d'une stratégie pour s'assurer que le processus soit voué à l'échec.

«Donald Trump ne croit pas pouvoir obtenir ce qu'il veut sans déchirer l'accord ou y mettre fin. C'est comme ça qu'il travaille», analyse M. Clark.

L'expert prédit que le Canada va recevoir encore plus de propositions intenables lors de la quatrième ronde de renégociation.

Gestion de l'offre et résolution de conflits

Déjà, le secrétaire américain à l'Agriculture, Sonny Perdue, a annoncé qu'il déposerait une requête officielle afin d'ouvrir le marché canadien du lait et de la volaille.

L'industrie laitière a été exclue de l'ALENA en 1994, mais le système de gestion de l'offre au Canada demeure un sérieux irritant pour les États-Unis.

Donald Trump a crié à l'injustice à propos d'une entente hors ALENA qui permet aux producteurs laitiers canadiens de vendre au rabais des protéines laitières (lait diafiltré) aux entreprises de transformation pour protéger l'industrie face aux importations américaines à faible coût.

Le gouvernement libéral a promis à répétition de protéger le système de gestion de l'offre et l'industrie agricole canadienne.

D'autres points d'achoppement et enjeux sérieux pointent à l'horizon: les pièces d'automobiles, le processus de résolution des conflits et le désir des États-Unis de réviser l'ALENA tous les cinq ans.

Dans un événement en marge des négociations de l'ALENA à Washington, Robert Zoellick a rappelé qu'il était impossible que le Canada renonce au chapitre 19 de l'accord qui concerne le processus de résolution des conflits.

«Les Canadiens se sont saignés pour l'obtenir», se rappelle-t-il. «Il serait vraiment surprenant que le gouvernement canadien accepte d'abandonner les dispositions du chapitre 19.»