Les chiffres sont les chiffres. Et les chiffres démontrent que l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper a, en fait, réussi à équilibrer le budget en 2015-2016, même si les libéraux de Justin Trudeau affirment le contraire, estime le directeur parlementaire du budget (DPB), Jean-Denis Fréchette.

Alors que le ministre des Finances Bill Morneau ne cesse de répéter que l'ancien gouvernement conservateur lui a réservé une mauvaise surprise quand il est arrivé en poste en laissant les coffres d'Ottawa dans un piteux état, le Parti conservateur soutient au contraire avoir rétabli l'équilibre budgétaire et accuse les libéraux d'avoir perdu le contrôle des finances publiques.

M. Morneau, qui a fait deux mises à jour, financière et économique, en moins de quatre mois, doit déposer son budget le 22 mars, soit dans une semaine. Dans sa dernière mise à jour, le grand argentier a confirmé que le déficit de 2016-2017 serait d'au moins 18 milliards - sans tenir compte des engagements libéraux - et, par conséquent, dépasserait les 10 milliards évoqués par les libéraux en campagne électorale. Il prévoyait aussi que le présent exercice financier, qui prend fin le 31 mars, se solderait par un déficit de 2,3 milliards.

Dans une entrevue accordée à La Presse, hier, M. Fréchette s'en remet à la revue financière du ministère des Finances pour trancher la question. Cette revue publiée mensuellement démontre que le gouvernement fédéral a affiché un surplus de 1 milliard durant les huit premiers mois de l'exercice financier 2015-2016, soit du 1er avril au 30 novembre. En ajoutant le mois de décembre, le surplus passe à 3,2 milliards pour les neuf premiers mois de l'exercice. Mais en décembre, Ottawa a vu une augmentation de ses revenus tirés des impôts des particuliers de 14 % (1,7 milliard), une hausse qui ne devrait pas se reproduire au cours des prochains mois.

« Nous prévoyons toujours un surplus de 1,2 milliard de dollars pour 2015-2016. Après le prochain budget, nous allons refaire nos calculs sur la base des nouvelles données que nous aurons à ce moment-là. Mais qu'il y ait un surplus de 1,2 milliard ou un déficit de 1,2 milliard, en économie, nous appelons cela un budget équilibré. Notre position officielle, le budget était équilibré [en 2015-2016] », a affirmé M. Fréchette, rappelant la taille de l'économie canadienne et le budget total du gouvernement fédéral.

Les résultats financiers pourraient être moins reluisants toutefois à cause des nouvelles dépenses annoncées par les libéraux après leur arrivée au pouvoir, notamment l'accueil des réfugiés syriens (200 millions) et la réduction des impôts pour les contribuables de la classe moyenne (400 millions pour les trois derniers mois de l'exercice financier 2015-2016). Aussi, l'économie canadienne a montré des signes de ralentissement depuis novembre.

En poste depuis 2013, M. Fréchette a toutefois souligné que les déficits importants frisant les 25 milliards, tout comme le retour à tout prix à l'équilibre budgétaire, sont « des choix purement politiques ».

Il a relevé que l'important, pour un gouvernement, c'est de maintenir le ratio de la dette par rapport à la taille de l'économie à un niveau stable ou sur une trajectoire descendante.

« Notre point d'ancrage principal, c'est cette mesure. On peut faire des déficits, on peut faire des surplus. L'important, c'est que ce ratio diminue, ou à tout le moins reste stable. Si tel est le cas, sur le plan fiscal, l'économie est viable », a soutenu M. Fréchette.

DÉFICIT FRISANT LES 30 MILLIARDS

Selon certains économistes, le déficit du premier budget du gouvernement Trudeau pourrait osciller entre 25 et 30 milliards si ce dernier décide d'honorer ses promesses électorales.

DE VIFS DÉBATS AUX COMMUNES

L'explosion des déficits prévue par les libéraux a donné lieu à de vifs échanges aux Communes au cours des dernières semaines. « Les conservateurs ont permis à ce pays de traverser la pire récession mondiale avec la meilleure position du G7. Nous avons créé environ 1,3 million d'emplois et nous avons laissé un excédent de plus de 3 milliards de dollars. Même le NPD reconnaît que nous étions dans une situation de surplus », a lancé la leader intérimaire du Parti conservateur, Rona Ambrose, le mois dernier. La réplique du ministre Bill Morneau : « Six mois, deux mois, ce n'est pas une année. Nous avons l'année au complet et nous avons vu qu'il y a un déficit laissé par les conservateurs. Dans les trois derniers mois de l'année, il y a eu moins de revenus et plus de dépenses. Cela veut dire qu'il y a un déficit fait par les conservateurs. »

PLUS DE POUVOIRS

En campagne électorale, les libéraux ont promis de faire du Bureau du directeur parlementaire du budget un agent du Parlement, au même titre que le vérificateur général. Le gouvernement Trudeau compte aussi confier une nouvelle tâche au DPB : analyser le cadre financier et les promesses des partis politiques avant la tenue des élections fédérales, de sorte que les électeurs puissent y voir plus clair. Mais Jean-Denis Fréchette se montre prudent. « C'est bien, mais politiquement parlant, vous comprendrez qu'un organisme non partisan, neutre comme le nôtre, on devient un peu le centre d'attention dans une campagne électorale. On se retrouve au centre du débat. Il y a un seul DPB dans le monde qui le fait, et c'est en Australie. C'est dans la loi. C'est extrêmement strict pour le DPB mais aussi pour les partis politiques. Ils doivent donner l'information selon un échéancier précis. Ça nécessiterait une discipline extrêmement stricte de la part des partis. »

L'ONTARIO A MAINTENANT SON « DPB »

Si le Québec a longtemps jonglé avec l'idée d'emboîter le pas au gouvernement fédéral en créant aussi un directeur parlementaire du budget, l'Ontario est devenu la première province à créer une telle fonction, l'an dernier. Au bureau du ministre des Finances Carlos Leitao, on ne veut pas créer « de nouvelles structures qui créeraient des dédoublements ». « Nous avons annoncé, dès notre premier budget, qu'un rapport préélectoral serait désormais produit par le ministère des Finances et révisé par le vérificateur général. Ce rapport fera état des finances publiques, trois mois avant une campagne électorale, et donnera aux Québécois une connaissance juste de l'état des finances publiques avant chaque élection. Les comptes publics sont déjà vérifiés chaque année par le vérificateur général. Il faut éviter de créer de nouvelles structures qui créent des dédoublements. Il n'est donc pas pertinent, pour nous, de créer le Bureau du directeur parlementaire », a indiqué Audrey Cloutier, porte-parole du ministre.

PHOTO Sean Kilpatrick, Archives La PResse Canadienne

Le directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, est en poste depuis 2013.

PHOTO Mark Blinch, Archives Reuters

Le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, s'est fait contredire par le directeur parlementaire du budget, hier, au sujet de l'état des finances publiques dont il a hérité.