Confrontés à la crise du rouble en Russie et aux représailles du pays contre l'Occident, les exportateurs canadiens se demandent à quoi pourra bien ressembler 2015 pour ce marché qui était encore plein de promesses il y a moins de 12 mois.

Plusieurs entreprises, des fabricants d'équipements agricoles aux producteurs de porcs, ont passé la plus grandes partie de 2014 à s'ajuster à l'instabilité économique en Russie, un pays qui a acheté pour 563 millions $ d'exportations agricoles du Canada en 2012.

Pour certaines de ces firmes, la première moitié de 2014 avait des allures d'année record - puis, les ventes se sont évaporées.

Un dirigeant d'un des plus grands exportateurs canadiens en Russie a noté que sa société réalisait des ventes annuelles d'environ 250 millions $ ces dernières années, essentiellement en produits de porc congelés.

Olymel, un producteur et distributeur de viandes de porc et de volaille, était en voie de connaître sa meilleure année en vie en Russie après plus de deux décennies sur ce marché, a observé Richard Davies, vice-président principal aux ventes et au marketing de l'entreprise.

Mais en août, la Russie a interdit l'accès à son marché pour les produits de viande et d'autres biens en provenance de certains pays, notamment du Canada, en représailles pour les sanctions financières imposées par les pays occidentaux.

«Nous savions (que l'interdiction) était imminente, potentiellement, mais nous ne nous attendions certainement pas à ce qu'elle survienne aussi rapidement et à ce qu'elle soit aussi forte qu'elle ne l'a été», a noté M. Davies lors d'un entretien.

«De toute évidence, l'embargo en août a eu un impact significatif pour nous et, en général, pour le marché du porc canadien et nord-américain, en fait.»

En mars, le Canada et certains de ses alliés ont voulu punir la Russie pour son opération en Crimée et son recours à la provocation militaire dans l'est de l'Ukraine. Ils ont imposé un certain nombre de sanctions contre la Russie et ceux qui l'appuyaient.

La Russie a répliqué avec une interdiction sur la viande, les fruits de mer, le lait et les produits laitiers, les fruits et les légumes en provenance du Canada, des États-Unis, de l'Union européenne et d'autres pays.

Dans une certaine mesure, l'impact de l'interdiction commence déjà à être visible dans les données commerciales.

Les plus récents chiffres de Statistique Canada font état d'exportations de produits du porc frais, refroidis ou congelés vers la Russie totalisant 7 millions $ pour les mois d'août, septembre et octobre 2014. En comparaison, la valeur de ces exportations pendant la même période de trois mois en 2013 avait atteint 64 millions $.

Par ailleurs, Statistique Canada ne rapporte aucune exportation canadienne de crustacés vers la Russie dans les mois d'août à octobre 2014. Un an plus tôt, des ventes de 16,1 millions $ avaient été enregistrée à cette rubrique.

Les ventes canadiennes de poissons congelés (en excluant les filets) se sont établies à 750 000 $ d'août à octobre 2014, en baisse de près de 19 millions $ par rapport à la même période l'année précédente.

Selon M. Davies, les producteurs de porc ont redirigé certains de leurs produits vers d'autres marchés, mais cela a fait reculer les prix. Malgré tout, les pertes de 2014 ont été partiellement contrebalancées par des hausses de prix attribuables à une épidémie virale qui a tué des millions d'animaux aux États-Unis, a-t-il ajouté.

Bien qu'il ne sache pas ce qui attend le commerce entre la Russie et le Canada, M. Davies craint que les déclarations d'Ottawa à l'endroit de la Russie ne nuisent aux relations entre les deux pays, même si les sanctions devaient être levées.

Le premier ministre Stephen Harper et des députés conservateurs ont ouvertement critiqué le président russe Vladimir Poutine pendant des mois. Le Bureau du premier ministre a indiqué que M. Harper avait directement dit à M. Poutine de «sortir d'Ukraine» lorsqu'ils se sont rencontrés au sommet du G20 en Australie, en novembre.

«Mon opinion personnelle est que la situation est trop bruyante, qu'il y a trop de rhétorique pour le poids politique que nous avons dans le grand édifice du monde politique», a estimé M. Davies.

«Je crois qu'à long terme, cela pourrait avoir un impact négatif lorsque les choses reviendront à la normale, éventuellement. Je crois que nous pourrions rester au banc des pénalités un peu plus longtemps que nous le devrions.»

Un porte-parole du ministre des Affaires étrangères, John Baird, a répété que le message du gouvernement au sujet des sanctions contre la Russie, affirmant qu'elles avaient été conçues «en tenant compte prudemment de l'impact potentiel qu'elles auraient sur les intérêts des entreprises canadiennes».

«Nous continuerons à transmettre le message à la Russie que son agression contre l'Ukraine est inacceptable», a indiqué Adam Hodge dans un courriel.

Aujourd'hui, les problèmes en Russie vont bien au-delà des sanctions internationales. La devise du pays, le rouble, a perdu énormément de valeur et le plongeon du cours du pétrole a plongé le pays dans une crise.

Les problèmes de la Russie affectent maintenant des secteurs au Canada qui n'ont pas été visés par l'embargo du Kremlin.

«Nous avons réalisé d'assez bonnes ventes là-bas, note Greg Archibald, président du constructeur d'équipement agricole saskatchewanais Schulte Industries.

«L'année dernière (2013) était une année de forte croissance et cette année nous nous attendions à faire encore mieux, puis tout cela a cessé.»

Même si la Russie n'a pas interdit les ventes d'équipement agricole, M. Archibald affirme que les problèmes économiques du pays font en sorte que Schulte n'y a rien vendu ces six derniers mois.

La compagnie a reçu des annulations de commandes totalisant un demi-million de dollar en une seule journée, poursuit-il. Elle tente depuis de faire croître ses ventes dans d'autres marchés comme l'Allemagne, l'Afrique du Sud, la Chine et l'Australie.

Le vice-président de Manufacturiers et exportateurs du Canada, Derek Lothian, s'attend à ce que les défis d'affaires de la Russie restent en place au moins pendant toute l'année 2015.

Selon M. Lothian, la situation a empiré parce que le gouvernement russe, à court d'argent, a aussi diminué les subventions, particulièrement celles au secteur agricole.

«Le pouvoir d'achat de la Russie a, bien franchement, diminué considérablement et cela se traduit aussi par un amoindrissement de la demande pour les produits canadiens», a-t-il expliqué.