Des agents des services frontaliers canadiens offrent des passe-droits à plusieurs voyageurs, leur évitant ainsi de payer des taxes et des droits de douane lorsqu'ils rentrent des États-Unis, révèle un document gouvernemental interne.

Cette note d'information destinée au premier ministre Stephen Harper rend davantage crédible l'une des plus grandes plaintes du secteur canadien du commerce de détail, selon qui l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) est trop généreuse avec les acheteurs se rendant aux États-Unis, entraînant des pertes de millions de dollars en ventes locales.

La note d'information a été préparée le 25 juin dernier, lorsque le dollar canadien valait 95 cents US, et que le gouvernement Harper s'inquiétait d'un supposé «manque à gagner» entre les prix canadiens et américains qui aurait pu encourager des gens à se rendre magasiner au sud de la frontière.

Cette note mentionne que les douaniers ne récoltent pas de droits et de taxes lorsque la valeur d'un bien est inférieure à un certain montant, montant qui a été caviardé dans le document publié.

«Ce montant a été établi en tenant compte du coût, pour l'ASFC, de faire franchir le processus de collecte à un voyageur», indique le document, obtenu par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«Les droits peuvent également être annulés dans des cas où l'ampleur de la tâche entraînerait des délais inacceptables aux postes-frontières, lorsque des démarches d'interdiction sont en cours, ou pour des raisons déterminées par les responsables locaux.»

Les Canadiens ont effectué 55 millions de déplacements aux États-Unis en 2012 - 33 millions d'entre eux ayant duré moins de 24 heures -, alors qu'un dollar prêt de la parité et un relèvement de la limite sur les biens hors-taxes ont encouragé la chasse aux aubaines transfrontalières.

Si les douaniers recueillent environ 150 millions $ en droits et taxes de la part des voyageurs chaque année, la note précise cependant que l'ASFC ne note pas le total des montants annulés, et il n'existe donc pas de moyen de mesurer l'ampleur des passe-droits, ou les revenus perdus par le gouvernement.

Un porte-parole du Conseil canadien du commerce de détail confirme que le groupe a soulevé leurs inquiétudes auprès du ministère des Finances.

Au dire du vice-président Karl Littler, le conseil n'a rien contre l'abandon des droits de douanes pour les biens valant moins de 20 $, comme le stipule une directive de longue date du gouvernement fédéral, mais dit craindre que les taxes soient également annulées pour des biens à valeur plus élevée.

«Cela se produit réellement, d'autant plus que je l'ai vécu personnellement, a confié M. Littler lors d'une entrevue. Les gens vous disent de passer la frontière - il ne fait donc aucun doute que cela se produit, et nous avons fait part de nos inquiétudes.»

En 2012, le gouvernement Harper a haussé à 200 $ la limite de la valeur des biens pouvant être ramenés sans frais d'autres pays pour une visite d'un à deux jours. Pour des séjours plus importants, cette limite est passée à 800 $.

Les passages de moins de 24 heures aux États-Unis n'ont droit à aucune exemption et la note d'information précise que ces voyageurs - trois Canadiens sur cinq se rendant aux États-Unis - font l'objet d'une surveillance accrue à la frontière.

Un porte-parole de l'ASFC reconnaît que les responsables des points de passage achalandés doivent parfois ajuster leurs priorités, entre la collecte des revenus et la mise au jour des importations illégales ou des visiteurs indésirables.

Les achats transfrontaliers se sont multipliés alors que le huard arrivait à parité avec le billet vert, mais des économistes affirment que la récente baisse de valeur de la devise canadienne réduira le nombre de chasseurs d'aubaines se dirigeant au pays de l'Oncle Sam.

La valeur du dollar canadien a récemment chuté sous les 90 cents US, un niveau que, prédit l'économiste Doug Porter chez BMO Marchés des capitaux, «imposera un ralentissement abrupt aux virées de magasinage transfrontalier».

M. Littler note cependant que cette baisse de valeur pourrait éventuellement alimenter le coût des biens canadiens au détail, alors que les importateurs paient davantage pour des produits américains, aidant du même coup à renforcer la différence aux caisses entre le Canada et les États-Unis qui est déjà partiellement alimentée par des tarifs et des décisions commerciales.

Ottawa a d'abord publié une version largement caviardée de la note d'information de cinq pages en novembre dernier, mais a déclassifié une bonne partie du contenu ce mois-ci après que La Presse Canadienne eut déposé une plainte auprès du Commissariat à l'information.