Après la Banque Nationale, la Caisse de dépôt et le Canadien de Montréal, c'est au tour de SNC-Lavalin (T.SNC) de soulever une controverse en nommant un unilingue anglophone à un poste stratégique.

Annoncée discrètement vendredi soir, la nomination de l'Américain Robert Card aux postes de président et chef de la direction de la firme de génie québécoise a été bien accueillie par les analystes financiers, mais a suscité des grincements de dents chez certains politiciens. Lors de son assemblée annuelle, en mai dernier, SNC-Lavalin avait pourtant affirmé qu'aucun critère de sélection n'était décidé pour la candidature du futur président «si ce n'est qu'il soit capable de parler au moins les deux langues officielles».

Les politiciens agacés

La chef du Parti Québécois, Pauline Marois, a sommé l'entreprise québécoise de réagir.

«Je demande à SNC-Lavalin qu'ils lui fassent suivre des cours de français pour qu'il devienne au moins bilingue», a-t-elle affirmé.

«Il doit apprendre rapidement le français pour pouvoir communiquer avec ses cadres», a aussi dit le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, par l'entremise d'un porte-parole.

«C'est décourageant, a lancé de son côté Françoise David, co-chef de Québec solidaire. SNC-Lavalin s'ajoute à la longue liste d'institutions comme la Caisse de dépôt et la Banque Nationale qui n'ont pas encore compris qu'au Québec, ça se passe en français.»

Selon Mme David, SNC aurait dû privilégier les candidats québécois, quitte à recruter un candidat à l'international qui parle français si aucune candidature québécoise ne convenait.

«Il est indéniable que le choix d'un candidat qui parle français comme prochain premier dirigeant de ce fleuron du Québec aurait été la situation idéale. Cependant, à un moment où l'entreprise a besoin d'un leadership fort, décisoire et clairvoyant, le plus important était d'embaucher le meilleur candidat doté d'une grande expérience à l'échelle internationale, tous critères confondus», a répondu Leslie Quinton, vice-présidente, communications mondiales d'entreprise, chez SNC.

Rappelons que l'ancien président de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, a quitté dans la foulée du scandale des paiements de 35 millions US dont l'entreprise a perdu toute trace et qui font actuellement l'objet d'enquêtes criminelles.

«Mon épouse Nancy et moi-même sommes heureux de déménager au Québec et particulièrement d'apprendre le français, afin de conserver vivant un héritage faisant partie intégrante de cette entreprise mondiale», a fait savoir de son côté le nouveau président en question, Robert Card, dans le communiqué officiel.

Le fait que la Banque Nationale et la Caisse de dépôt comptent également de hauts dirigeants incapables de communiquer en français avec leurs employés avait aussi soulevé la controverse au cours de la dernière année.

Les analystes satisfaits

Les analystes financiers ont quant à eux bien accueilli la nomination de M. Card, qui entrera en fonction le 1er octobre prochain. La nouvelle n'a pas eu d'impact positif en Bourse, où l'action de SNC a perdu 22 cents ou 0,59% pour clôturer à 37,28$.

Formé aux universités Stanford et Harvard, Robert Card compte 40 ans d'expérience en gestion de projets d'infrastructures et d'ingénierie. Il a notamment dirigé plusieurs divisions de CH2 M Hill Companies, firme de génie basée au Colorado qui compte 30 000 employés et a généré un chiffre d'affaires de 6,3 milliards US en 2010.

Entre 2001 et 2004, M. Card a aussi été nommé par le président des États-Unis comme sous-secrétaire du ministère américain de l'Énergie, où il a géré 65 000 employés fédéraux et un budget de 14 milliards US.

«Nous voyons la nomination d'un candidat de l'extérieur comme une nouvelle positive pour les investisseurs, qui permettra d'apporter un regard neuf sur la gestion et les pratiques de gouvernance de l'entreprise», a écrit Pierre Lacroix, analyste chez Valeurs mobilières Desjardins, dans une note aux investisseurs.

M. Lacroix considère aussi la nomination d'un Américain comme un «engagement de SNC envers le marché américain, où SNC ne possède pas de base significative».

Maxim Sytchev, d'Altacorp Capital, croit aussi qu'il est «critique pour SNC d'instaurer la perception d'un nouveau départ propre pour rétablir la confiance des investisseurs dans les actions de la compagnie», et que la nomination d'un candidat externe aidera en ce sens.

L'analyste souligne aussi que CH2 M Hill et SNC-Lavalin se sont battues pour rafler les mêmes projets par le passé, ce qui laisse penser que M. Card connaît bien à la fois les marchés et les clients de son nouvel employeur.

- Avec Martin Croteau et Paul Journet