Prix en hausse, délais de vente en baisse, spéculation tous azimuts: la possible arrivée de marchés de carbone réglementés au Québec soulève l'enthousiasme en ce moment pour les crédits de carbone. Mais avis à ceux qui voudraient en profiter: si les gains potentiels sont alléchants, les risques sont aussi immenses... et complexes à cerner.

Yves Legault est vice-président, financement progressif, pour la firme québécoise L2i. Par les temps qui courent, il fait le plein de crédits de carbone.

«On achète des crédits de deux façons, dit M. Legault. Premièrement, on fait des transactions spot au comptant - on achète des crédits et on les met en inventaire. Deuxièmement, on prend des positions sur des lots importants de crédits de carbone, donc on achète des droits d'option. On utilise les produits dérivés», explique-t-il.

M. Legault n'est pas le seul à magasiner actuellement. S'il est difficile d'obtenir des données précises sur les prix récents du carbone au Canada (ces produits se transigeant souvent de gré à gré), des observateurs estiment que la tonne de CO2 qui se vendait autour de 5$ en février a atteint 6,25$ en septembre. Et selon M. Legault, alors qu'il fallait compter neuf mois pour vendre un lot important de crédits de carbone l'hiver dernier, les affaires se concluent aujourd'hui en moins de trois mois.

Pourquoi un tel engouement? C'est simple. Pour l'instant, le Québec et la grande majorité des provinces canadiennes et des États américains n'ont pas encore réglementé leurs émissions de gaz à effet de serre. Les crédits qui s'échangent actuellement se font donc sur une base volontaire.

Mais malgré leurs espoirs maintes fois déçus par le passé, M. Legault et plusieurs autres font le pari que cette fois, une réglementation qui obligera les grands émetteurs à réduire leurs émissions est bel et bien sur le point de tomber. Le Western Climate Initiative (WCI), un marché qui regrouperait quatre provinces canadiennes dont l'Ontario et le Québec et sept États américains dont la Californie, semble en bonne voie de démarrer dès 2012.

Si c'est le cas, la demande pour les crédits risque de bondir, les entreprises réglementées étant obligées soit de réduire leurs émissions à l'interne, soit d'acheter des crédits pour les compenser.

Miser sur l'apparition de ces marchés est un pari en soi. Roger Fournier, directeur principal, environnement et gaz à effet de serre, chez Raymond Chabot Grant-Thornton, rappelle que la Californie tiendra le 2 novembre un référendum sur la possibilité de retarder son entrée dans le WCI, ce qui pourrait compliquer les choses.

Même si le marché se met en branle, rien n'est gagné pour autant pour les spéculateurs. Ceux-ci doivent aussi prier pour que les crédits du marché volontaire qu'ils achètent soient reconnus dans un éventuel marché réglementé. Si c'est le cas, ils risquent de gagner gros.

«Ça peut être des gains importants, dit Yves Legault. Plusieurs économistes se sont penchés sur la question du carbone et ils arrivent avec des pronostics impressionnants. On parle de 16$ la tonne de CO2, parfois jusqu'à 20 et 25$ la tonne», dit-il.

Le hic, c'est que le marché volontaire est un Far West régi par une multitude de règles plus ou moins claires. Toutes sortes de projets visant à éviter ou à capter des gaz à effet de serre ont été mis en place, certains mieux encadrés que d'autres. Une variété de normes et de types de crédits existent aujourd'hui. Lesquels seront reconnus par les marchés réglementés? Même si certaines normes semblent beaucoup plus crédibles que d'autres, les paris sont ouverts.

«C'est le festival du risque!» admet M. Legault.

Le meilleur exemple se trouve du côté du marché climatique de Chicago. Jadis la référence dans les transactions de carbone en Amérique du Nord, cette Bourse est aujourd'hui complètement boudée. Hier, la tonne de carbone y a clôturé au prix dérisoire de 10 cents US. Le marché de Chicago a accepté des crédits provenant de projets qui, selon à peu près tout le monde, n'ont aucune chance de se qualifier dans des marchés réglementés. Les prix se sont alors effondrés.

«Celui qui achète aujourd'hui prend un grand, grand risque», résume M. Fournier... qui souligne aussi que le prix du carbone dépendra de l'offre et la demande dans un éventuel marché réglementé. Et bien malin qui peut prédire aujourd'hui de quel côté elle penchera.

40%

Augmentation des transactions de crédits de carbone sur les marchés volontaires au Canada entre 2008 et 2009.

Sources : Ecosystem Marketplace, Bloomberg New Energy Finance.

8,9$US

Prix moyen d'une tonne de CO2 sur les marchés volontaires au Canada en 2008.

7,7 $US

Prix moyen d'une tonne de CO2 sur les marchés volontaires au Canada en 2009.

Sources : Ecosystem Marketplace, Bloomberg New Energy Finance