L'ambitieuse réforme réglementaire de la finance qui progresse au Congrès américain, après un vote positif du Sénat jeudi, pourrait avoir des retombées positives dans le milieu financier de ce côté-ci de la frontière.

De l'avis d'analystes, les normes plus sévères et même restrictives qui s'annoncent envers les banques et les grandes sociétés financières aux États-Unis pourraient les inciter à déplacer certaines activités à l'étranger, à commencer par le Canada.

«Le processus législatif de la réforme financière demeure incomplet à Washington. Mais, si elle a lieu selon le projet de loi voté au Sénat, je crois que ça procurerait un avantage concurrentiel à d'autres places financières comme Toronto et Londres», selon Sherry Cooper, vice-présidente exécutive et économiste principale chez Marchés des capitaux BMO, filiale boursière de la Banque de Montréal.

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Par ailleurs, comme le commerce des produits dérivés est une cible principale de la réforme discutée à Washington, la Bourse de Montréal, spécialisée en produits dérivés, pourrait soutirer quelques marrons du feu.

Telle qu'adoptée au Sénat et avant l'harmonisation avec le projet de la Chambre des représentants, la réforme américaine imposerait de nouvelles normes beaucoup plus sévères sur les produits dérivés.

Entre autres, les banques américaines devraient déléguer leur commerce de produits dérivés dans des filiales dotées d'une capitalisation autonome et plus élevée.

Aussi, les transactions de produits dérivés qui s'effectuent en privé entre institutions financières, c'est-à-dire de gré à gré, devraient désormais se faire par un intermédiaire établi. C'est ce qu'on désigne comme une «chambre de compensation» dans le jargon boursier.

Or, ce type d'intermédiaires spécialisés dans les produits dérivés, encore limités aux États-Unis malgré l'ampleur du marché, fait déjà partie des mécanismes de marché gérés par la Bourse de Montréal.

«La chambre de compensation à Montréal fonctionne déjà très bien pour les dérivés négociés en Bourse. On n'aurait qu'à y ajouter une division des produits dérivés hors Bourse pour tenter d'attirer des sociétés financières américaines», suggère Michel Nadeau, directeur de l'Institut de gouvernances des organisations et analyste aguerri du secteur financier.

À la Bourse de Montréal, le président, Alain Miquelon, n'a pu être joint hier pour commenter l'impact éventuel de la réforme réglementaire encore en gestation au Congrès américain.

Mais, selon Jean Roy, analyste des marchés financiers et professeur à HEC Montréal, il ne faudrait pas surestimer cet impact de ce côté-ci de la frontière.

«L'avantage concurrentiel dont pourrait bénéficier le Canada après un tel resserrement réglementaire aux États-Unis devrait être limité», selon M. Roy.

«D'une part, il faut considérer que les financiers et les banquiers américains sont un peu chauvins à propos de la conduite de leurs affaires aux États-Unis. D'autre part, même après la réforme américaine, le Canada ne deviendrait pas soudainement un paradis réglementaire comparé aux États-Unis.»

Cela dit, même si le vote sur la réforme financière au Sénat est une étape cruciale, l'administration Obama à la Maison-Blanche et les démocrates doivent encore négocier une version commune aux deux chambres du Congrès.

Les élus ont un peu plus d'un mois pour se mettre d'accord avant les congés parlementaires de juillet, le tout dans un contexte d'extrême nervosité des marchés financiers.

Cette nouvelle loi pourrait donc être en vigueur avant le sommet des chefs d'État des pays du G20 à Toronto, les 26 et 27 juin, et dont l'un des grands dossiers sera la régulation financière.

- Avec Agence France-Presse