Le spectre d'une fusion entre Bell et Telus est revenu à l'avant-scène hier, ce qui soulève des inquiétudes à Option consommateurs.

Dans un rapport exhaustif, l'analyste Jonathan Allen, de RBC Marché des capitaux, estime qu'une union entre les deux géants des télécoms est «très probable» d'ici à deux ans. Le projet avait déjà été contemplé au printemps 2007 mais a avorté.

 

Or, selon M. Allen, les obstacles qui ont empêché le mariage à l'époque auront presque tous disparu dans deux ans. En premier lieu, l'opposition du Bureau de la concurrence.

Pourquoi? La nouvelle entité Bell-Telus serait moins dominante sur le marché qu'elle ne l'aurait été en 2007, à cause de l'arrivée de trois, quatre ou cinq nouveaux fournisseurs de sans-fil d'ici un an. Vidéotron et Globalive, par exemple, promettent de mener une guerre féroce aux géants établis.

«Plus les nouveaux fournisseurs seront perturbateurs (pour Bell et Telus), plus les chances d'une fusion augmenteront», écrit M. Allen.

Cette nouvelle dynamique de concurrence empêcherait le tandem Bell-Telus de faire grimper artificiellement les prix grâce à son «pouvoir de marché», ce qui faciliterait du coup l'approbation des autorités, avance l'analyste.

L'avantage premier d'une union réside toutefois dans les économies d'échelle. Selon Jonathan Allen, l'entreprise née de la fusion pourrait épargner 1,2 milliard de dollars par année en combinant les activités de ses deux entités. Au total, les «synergies» pourraient atteindre 10 milliards, écrit-il.

Consommateurs inquiets

Tout cela est bien beau pour les actionnaires, mais Michel Arnold, directeur général de l'organisme Option consommateurs, craint que ce soient les clients qui paient le prix d'un tel mariage. De leur poche.

«Toute fusion de compagnies met en péril la concurrence qui pourrait être au bénéfice des consommateurs», a-t-il fait valoir à La Presse Affaires.

Michel Arnold est loin d'être convaincu que l'arrivée de nouveaux fournisseurs dans le sans-fil contrebalancera le poids immense qu'auraient ensemble Bell et Telus. «Même si de nouveaux acteurs arrivent, et ce ne sera pas dans tous les marchés, ce n'est pas un argument qui fait en sorte qu'on verrait cette fusion d'un bon oeil.»

Les organismes de défense des consommateurs dénoncent depuis longtemps le prix élevé des services de téléphonie cellulaire au pays. Encore cette semaine, une étude de l'OCDE est venue confirmer que c'est au Canada qu'on paie le plus cher parmi toutes les nations développées.

Jonathan Allen, de RBC, note cependant que le revenu moyen par abonné est en recul depuis plusieurs trimestres déjà au Canada, signe d'une concurrence plus vive. Et cette tendance à la baisse devrait se poursuivre lorsque les nouveaux fournisseurs arriveront, ce qui poussera d'autant plus Bell et Telus à fusionner pour réaliser des économies d'échelle.

Troy Crandall, analyste en télécoms chez MacDougall, MacDougall&MacTier, juge lui aussi «très souhaitable» une union des deux sociétés, mais il doute que cela soit possible avant au moins trois ans à cause des autorités.

«Fusion hypothétique»

Au Bureau de la concurrence du Canada, la porte-parole Alexa Thorp a refusé de se prononcer sur des «fusions hypothétiques», soulignant que les dossiers sont étudiés au cas par cas.

Si une fusion avait lieu aujourd'hui, Bell et Telus détiendraient 54% du marché national du sans-fil - plus de 60% dans six provinces - et 85% du secteur des grandes entreprises, indique Jonathan Allen.

Mark Langton, vice-président aux communications de BCE, n'a pas voulu commenter cette fusion éventuelle, hier. Stacey Masson, porte-parole de Telus, a elle aussi refusé de se prononcer sur des «spéculations».

La résurgence de cette idée semble néanmoins avoir eu un impact sur les titres des deux entreprises à la Bourse de Toronto. Ils ont grimpé de près de 2% en milieu de journée. Celui de BCE a clôturé en hausse de 35 cents, à 25,43$, et l'action de Telus a gagné 44 cents, à 33,63$.

Selon Jonathan Allen, la fusion des deux sociétés se réaliserait «entre égaux», sans versement en argent ni nouvel emprunt. Bell constituerait les deux tiers de la nouvelle entité, et Telus, l'autre tiers. En 2007, Telus souhaitait plutôt mettre la main sur BCE.

Après l'avortement de cette première tentative, l'ex-président de BCE, Michael Sabia, avait admis en entrevue à La Presse Affaires que la transaction aurait été très difficile à faire approuver par le Bureau de la concurrence. Selon lui, les chances de succès étaient à peine d'une sur cinq.

Bell Canada avait finalement accepté une offre de rachat de 51,7 milliards de la part de Teachers' et ses partenaires, qui est tombée à l'eau en décembre dernier après 18 mois de péripéties.

 

DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA FUSION BELL-TELUS *

- Pour contrer la concurrence des autres fournisseurs dans le sans-fil

- Pour réduire les coûts d'exploitation

- L'arrivée de nouveaux concurrents réduit les barrières réglementaires contre une fusion

- Peu ou pas de mise de fonds requise

- Des synergies potentielles de 10milliards

* Selon l'analyste Jonathan R. Allen, de Marchés des capitaux RBC