«Nous voulons être sûrs que nos entreprises puissent continuer à être concurrentielles à l'international.» C'est ce qu'a déclaré Ted Menzies à la Chambre des communes, hier, pour justifier l'abandon par le gouvernement d'une importante bataille contre l'utilisation des paradis fiscaux.

Ted Menzies répondait à titre de secrétaire parlementaire de Jim Flaherty aux questions du Bloc québécois, qui dénonce vivement la volte-face du gouvernement. La polémique en Chambre a été soulevée par une mesure du budget passée inaperçue qui a fait l'objet d'un reportage dans La Presse Affaires de mercredi.

 

Essentiellement, un court paragraphe du budget élimine un article de la Loi de l'impôt qui avait pour but de mettre fin à un stratagème d'évitement fiscal utilisé par les multinationales canadiennes. L'article en question devait entrer en vigueur en 2012, question de laisser aux entreprises le temps d'ajuster leurs pratiques. Il est maintenant abrogé.

Le stratagème permet aux multinationales canadiennes de profiter d'une double déduction d'impôts pour les frais d'intérêts qu'elles paient sur les emprunts contractés pour investir à l'étranger. Les intérêts en question sont déduits, d'une part, au Canada et, d'autre part, dans le pays où est fait l'investissement.

Cette double déductibilité est rendue possible parce que l'argent circule entre-temps dans un paradis fiscal. La vérificatrice générale, Sheila Fraser, avait dénoncé cette pratique en 2002. Selon elle, le mécanisme avait coûté des centaines de millions de dollars aux Canadiens au cours des 10 années précédant son rapport.

Même le ministre des Finances, Jim Flaherty, avait clairement exprimé son intention, en mai 2007, de mettre fin à ce «mécanisme d'évitement fiscal», qu'il jugeait inéquitable pour les contribuables canadiens.

Hier, le leader du Bloc, Pierre Paquette, a demandé à Stephen Harper pourquoi le gouvernement a abandonné cette bataille. Le premier ministre a répliqué que le gouvernement avait suivi «les recommandations d'un panel d'experts».

Conflits d'intérêts?

Pierre Paquette a alors renchéri en disant que les membres du panel en question étaient en conflit d'intérêts, provenant essentiellement d'entreprises qui ont pu ou pourraient tirer profit du stratagème. Entre autres, le président du Groupe consultatif, Peter Godsoe, est l'ancien PDG de la Banque Scotia, «la banque canadienne qui a le plus de filiales dans les paradis fiscaux», a dit M. Paquette.

En réplique, Ted Menzies a soutenu que le comité avait fait des consultations partout au pays et qu'en définitive, la décision du fédéral était ce qu'il fallait faire pour garder nos multinationales compétitives à l'international.

Vérification faite, le Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale a reçu 34 mémoires, la plupart venant de groupes de pressions ou de parties intéressées à la question. On trouve, entre autres, l'Association des banquiers canadiens (ABC), l'Association canadienne de produits pétroliers et la Chambre de commerce du Canada.

Au moins deux mémoires apparaissent désintéressés, soit ceux du Conference Board du Canada et de la Chaire de recherche en fiscalité de l'Université de Sherbrooke.

L'économiste en chef du Conference Board, Glen Hodgson, croit qu'il faut permettre le stratagème. Pour exprimer son opinion à ce sujet, il s'en remet à une opinion de la firme comptable Deloitte.

«Il est difficile de comprendre pourquoi une déduction canadienne devrait être interdite pour la raison qu'elle a déjà été permise dans un pays étranger. La déduction du pays étranger n'a aucun impact sur les revenus imposables canadiens, et elle est assurément bénéfique au système d'imposition canadien, puisqu'elle accroît le montant après impôt disponible qui peut être retourné au Canada», avait écrit Deloitte.

Pour sa part, Gilles Larin, qui représente la Chaire de l'Université de Sherbrooke, est plutôt défavorable au stratagème de double déductibilité des intérêts. Il croit que le stratagème revient à inciter les entreprises à produire des activités profitables ailleurs qu'au Canada. À tout événement, il recommande la production d'un «mémoire indépendant» sur ce sujet et même un «centre indépendant d'étude des politiques fiscales».

«Trop souvent, nous observons que des constats sont faits à partir de concepts qui ne sont pas testés ou dont les résultats ne sont pas divulgués», écrit Gilles Larin.