Lorsque les ateliers du Tohoku ont stoppé leurs chaînes à cause du séisme du 11 mars, l'industrie automobile planétaire a calé faute de pièces détachées. Un an plus tard, les entreprises nippones revoient la toile complexe de leur production, pour éviter toute répétition.

Des milliers d'usines ont été endommagées ou inondées par le tremblement de terre de magnitude 9 ou le tsunami qui l'a suivi. A première vue, les préfectures les plus touchées (Miyagi, Iwate, Fukushima) ne constituaient pas un centre stratégique comme Tokyo ou la région industrielle du Kansai (ouest).

Pourtant, l'onde de choc économique fut ressentie à travers tout l'archipel et même dans le monde entier, car les zones dévastées abritaient quantité de sous-traitants de l'automobile et de l'électronique.

Spécificité locale, certaines de ces firmes disposent d'une exclusivité de fait sur la fabrication d'une pièce métallique ou d'un composant électronique particulier, ce qui a entraîné un blocage complet de la chaîne de production.

De tous les géants nippons ayant souffert, le cas du constructeur d'automobiles Toyota, ex-numéro un mondial détrôné en 2011, est l'un des plus emblématique.

Le 11 mars, trois de ses usines sont directement touchées, tout comme 600 de ses fournisseurs, dont 60 ne peuvent reprendre le travail. Une semaine plus tard, 500 types de composants manquent toujours au constructeur qui a dû arrêter toutes ses chaînes d'assemblage japonaises.

Parmi les fournisseurs cruciaux du secteur figure Renesas Electronics, qui pourvoit 40% de la demande mondiale en microcontrôleurs, des semi-conducteurs essentiels aux véhicules.

Paralysée, son usine centrale de Naka reçoit l'aide de techniciens et d'ouvriers dépêchés par les constructeurs, entre autres. Jusqu'à 2500 personnes oeuvrent jour et nuit, permettant de relancer la production en moins de trois mois, alors que Renesas craignait un arrêt forcé d'une année.

Mobilisé chez ses fournisseurs et dans ses usines, Toyota limite à 370 000 le nombre de voitures non produites... contre 2 millions estimées au lendemain du désastre.

Du côté des fabricants d'électronique, Canon relance l'intégralité de sa production dans le nord du Japon dès la fin avril et Sony, dont dix usines ont souffert, fin mai.

«Le rétablissement japonais est étonnant. Si les entreprises avaient été moins bien organisées, les pertes auraient été incroyablement plus élevées», souligne Bharat Kannan, chargé de la stratégie chez l'assureur Aon Risk Solutions.

Dispersion des usines

Le manque à gagner des firmes nippones a toutefois été massif, estimé entre 15 et 80 milliards de dollars par les compagnies d'assurance, sans compter le coût direct des dommages.

D'après l'économiste Ivan Tselichtchev, professeur à l'Université de Niigata, les entreprises ne pourront plus produire comme avant au Japon. «La probabilité d'un nouveau séisme majeur a augmenté, ce qui créé un facteur de risque supplémentaire», explique-t-il.

Afin de limiter les difficultés consécutives à un nouveau désastre, nombre de sociétés diversifient leurs sous-traitants et tentent de savoir précisément qui fait quoi dans la longue chaîne d'approvisionnement conduisant au produit final.

«Avant le séisme, nous avions une vue précise sur nos fournisseurs de 1er rang, mais pas au-delà. Nous essayons désormais de connaître les activités de nos fournisseurs de 2e, 3e et 4e rang», c'est à dire ceux qui ne sont pas directement en contact avec la maison-mère, explique Masami Doi de Toyota.

Il s'agit d'une tâche titanesque pour le constructeur qui se fournit, rien qu'au Japon, auprès de plus de 100 000 firmes, mais nécessaire: après le 11 mars, le constructeur a douloureusement compris que des sous-traitants se pourvoyaient auprès d'un même fournisseur, ce qui a bloqué la chaîne en cascade.

Des entreprises augmentent par ailleurs leurs réserves de composants essentiels pour éviter de se retrouver à sec en cas de problème.

Même Toyota, inventeur du système «juste à temps» consistant à limiter les stocks, a accepté une entorse limitée à sa règle d'or. «Pour des pièces cruciales qui prennent peu de place et ne s'abîment pas, nous augmentons nos stocks si cela n'élève pas nos coûts», détaille M. Doi.

De nombreuses firmes dispersent en outre leurs usines pour éviter une paralysie totale si un séisme frappe leur région d'installation.

«Nous étendons notre production sur des sites éloignés les uns des autres, que ce soit pour nous-mêmes ou nos fournisseurs, parfois au-delà du Japon», explique-t-on chez Murata Manufacturing, un fabricant de semi-conducteurs .

Depuis le 11 mars, «le patronat pousse les firmes à délocaliser davantage à l'étranger, à intensifier les fusions et acquisitions hors de l'archipel et à constituer des sites de secours», renchérit M. Kannan d'Aon.

Renesas se dit désormais capable de produire 80% de ses microcontrôleurs dans plusieurs fabriques, afin de pouvoir compenser l'éventuel arrêt d'une usine, et vise les 90%.

«Notre but est qu'en cas de nouvelle catastrophe, nos clients n'aient aucun impact sur leur approvisionnement», insiste le fournisseur.