La Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) aurait arrangé un appel d'offres pour un nouveau système informatique, selon une poursuite déposée en Cour supérieure. La SAAQ serait allée jusqu'à faire approuver les détails de l'appel d'offres par l'une des entreprises soumissionnaires qui la poursuit aujourd'hui pour bris de contrat.

Etiah H. Entreprises poursuit la SAAQ pour 1,7 million de dollars. Dans la requête de 113 pages déposée en Cour supérieure la semaine dernière, la société informatique allègue qu'elle a assisté la SAAQ dans la rédaction d'un appel d'offres pour un logiciel. Elle aurait «participé à plusieurs réunions (...) au siège social (de la SAAQ) (...) dans le but de rédiger le document du premier appel d'offres». Etiah H. Entreprises allègue que la SAAQ a inclus dans son appel d'offres des conditions «de nature à écarter tous les autres progiciels de gestion».

«C'était arrangé. À la suite de notre première rencontre, ils ont dit qu'ils allaient partir en appel d'offres. Nous avons rédigé tout le volet technologique de l'appel d'offres. Nous avons fourni tous les éléments techniques de l'appel d'offres. Ils écrivaient l'appel d'offres, ils nous l'envoyaient pour s'assurer que c'était bon et on corrigeait certaines choses», dit Gratien Etiah, président et actionnaire majoritaire de Etiah H. Entreprises, en entrevue à La Presse Affaires.

Autre allégation de pratiques contraires aux normes gouvernementales d'appels d'offres: des employés de la SAAQ auraient assisté l'entreprise informatique dans la rédaction de sa soumission pour «s'assurer que (l'entreprise) soit la seule retenue lors de l'appel d'offres», selon la poursuite.

Lorsque l'entreprise a soulevé que la situation était «particulière», la SAAQ aurait répondu qu'il s'agissait d'un procédé «parfaitement légal» et «couramment utilisé» dans les ministères et des sociétés d'État. L'entreprise a accepté cette explication puisqu'il s'agissait de son premier contrat gouvernemental.

«Nous ne pouvons pas faire de commentaires sur le contenu de la poursuite, mais les appels d'offres sont réalisés en respectant à la lettre le processus prévu par la loi», dit François Rémillard, porte-parole de la SAAQ. La société d'État déposera sous peu sa défense en cour. Le ministre responsable de la SAAQ, Sam Hamad, n'a pas voulu commenter le dossier.

Deux appels d'offres et une guerre interne

Après une première rencontre en mars 2007, la SAAQ et Etiah H. Entreprises ont travaillé sur un premier appel d'offres qui s'est terminé le 29 octobre 2007. Il a finalement été annulé car Etiah H. Entreprises avait oublié d'inscrire le prix dans sa soumission pour un progiciel de gestion intégrée.

Selon la poursuite, la SAAQ aurait organisé une réunion avec l'entreprise le lendemain de la fin du premier appel d'offres afin de lui «expliquer (ses) erreurs» et de l'aider à préparer sa prochaine soumission. Les fonctionnaires auraient notamment indiqué «les prix qui devaient y apparaître, le tout dans le but de remporter ce second appel d'offres». Ils voulaient une réduction du prix de 170 000$.

Le deuxième appel d'offres, terminé le 24 novembre 2007, a été remporté par Etiah H. Entreprises. Le contrat a été signé en mars 2008. À la fin de la période d'essais en juin 2008, la SAAQ aurait demandé à Etiah H. Entreprises de changer la nature du contrat. Au lieu d'un logiciel de facturation, la SAAQ voulait dorénavant un logiciel pour l'ensemble de ses activités sans augmenter son budget de 1,2 million.

Selon la poursuite, l'entreprise se retrouvait au centre d'un conflit entre deux vice-présidents de la SAAQ, François Binette et Jean-Yves Fortin. «Les gens se battaient entre eux. Il y avait une guerre entre les équipes», dit Gratien Etiah dans un entretien. Joint par La Presse Affaires, Jean-Yves Fortin, qui ignorait la poursuite contre la SAAQ, n'a pas voulu faire de commentaires.

Au cours de l'automne 2008, la SAAQ se serait plainte du travail d'Etiah H. Entreprises, notamment de la qualité du français dans les documents soumis. La SAAQ lui aurait demandé «d'écrire dans un français d'Amérique du Nord».

Gratien Etiah, président et actionnaire majoritaire de l'entreprise, est originaire de la Côte d'Ivoire. Il vit au Québec depuis 2001, année où il a fondé Etiah H. Entreprises. L'entreprise compte parmi ses clients la chaîne québécoise de vêtements Tristan, laquelle se dit satisfaite de ses services selon son directeur informatique, Mohammed Faour.

Le 6 août 2009, la SAAQ résilie le contrat la liant à Etiah H. Entreprises. Celle-ci allègue en cour que 80 % des travaux ont été réalisés mais qu'elle n'a été payée qu'à 18 %. Elle réclame 1,7 million de dollars à la SAAQ. «Ils ont agi comme s'ils voulaient que le contrat ne s'exécute jamais, en plus de ne pas me payer. Ils ont résilié le contrat pour le remettre à CGI», dit Gratien Etiah à La Presse Affaires. La SAAQ refuse de confirmer si CGI a obtenu le mandat après la résiliation du contrat avec Etiah H. Entreprises.