Washington souhaite que General Motors (GM) se mette en faillite et se scinde en deux pour séparer ses actifs sains des toxiques, a rapporté le New York Times, hier. Une décision qui sème l'inquiétude chez nous, puisque d'anciens travailleurs de l'usine de Boisbriand craignent que leurs prestations de retraite fassent les frais de cette nouvelle stratégie.

Selon le quotidien new-yorkais, la cellule de crise mise sur pied par le président Barack Obama souhaite préparer l'entreprise à une faillite rapide et «chirurgicale» si elle ne parvient pas à s'entendre avec ses créanciers et ses syndicats avant la date butoir du 1er juin.

 

On souhaite scinder le groupe pour regrouper les actifs rentables sous une même bannière. Les activités jugées sans avenir - certaines marques, des usines, les régimes d'assurance maladie - seraient regroupées au sein d'une autre entité, qui serait liquidée sur plusieurs années.

Si le plan va de l'avant, le «bon» GM ne restera qu'une quinzaine de jours sous la protection de la loi sur les faillites grâce à une injection de 5 à 7 milliards de Washington. Le gouvernement américain devra par contre débourser 70 milliards pour dissoudre progressivement le «mauvais» GM.

Le scénario a été discuté au cours d'une série de rencontres et de téléconférences, la semaine dernière, entre des représentants de GM et du gouvernement.

Fin mars, le président Obama a donné 60 jours à GM pour se «restructurer de manière fondamentale» et éviter ainsi la faillite. Cet ultimatum survenait après que l'entreprise et son concurrent Chrysler eurent soumis des plans de restructuration jugés insatisfaisants par la Maison-Blanche.

GM a reçu jusqu'ici 13,4 milliards d'aide gouvernementale aux États-Unis.

GM négocie âprement l'échange d'environ 28 milliards d'obligations en actions avec ses créanciers. Elle tente aussi de convaincre ses syndicats d'accepter de douloureuses concessions.

En faisant circuler l'idée d'une mise en faillite, Washington pourrait chercher à forcer la main des créanciers et des syndicats, croit Christian Navarre, professeur à l'Université d'Ottawa et expert de l'industrie automobile. Après tout, souligne-t-il, les pourparlers sont au point mort et l'échéance fixée par le gouvernement approche à grands pas.

«Ou bien cet accord sort rapidement, ou bien il ne sortira jamais, explique-t-il. Donc c'est peut-être aussi une façon de mettre de la pression sur les syndicats pour qu'ils acceptent des concessions très importantes qu'ils ne souhaitent pas accepter depuis plusieurs mois.»

Stratégie ou pas, la nouvelle a eu un impact immédiat sur General Motors. Son titre a été écorché à la Bourse de New York, hier, perdant 16% de sa valeur en une journée. Il s'échangeait à 1,71$ l'action à la clôture des marchés.

Des craintes à Montréal

Les investisseurs de Wall Street ne sont pas les seuls à s'inquiéter des derniers développements du sauvetage de GM. D'anciens employés québécois du géant automobile nagent eux aussi dans l'incertitude. «On ne s'en cache pas, les retraités sont inquiets», affirme Eddy Roussy, qui préside l'association des retraités de l'usine GM de Boisbriand.

Depuis deux jours, le téléphone ne dérougit plus chez cet ancien employé de maintenance. Plusieurs confrères veulent savoir ce qu'il adviendra de leurs prestations si leur ex-employeur est mis en faillite.

«Il y a eu des ententes, dit M. Roussy. Qu'est-ce qui va nous arriver, à nous? De quelle façon va-t-on être protégés?»

Plus de 3000 personnes vivent des fonds de retraite de GM au Québec. Parmi eux, on compte des retraités, mais aussi des veuves.

«On avait confiance que la faillite pourrait être évitée, a confié Normand Guindon, qui a travaillé pendant 27 ans à Boisbriand. Obama semblait prêt à s'en occuper, et Harper aussi. Mais ça n'a pas l'air d'être parti pour ça, on voit de moins en moins de portes de sortie. Si on s'en va vers la faillite, on ne sait pas ce qui nous attend après.»

Son syndicat, les Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA), avait prévu une rencontre aujourd'hui pour préparer une conférence à Trois-Rivières à la fin du mois. Eddy Roussy promet de modifier l'ordre du jour: il souhaite interpeller ses collègues du reste du Canada et le gouvernement du Québec pour que les prestations des travailleurs de Boisbriand soient garanties.

Ses inquiétudes pourraient bien être fondées, estime Christian Navarre. Car aux dernières nouvelles, la caisse de retraite des employés canadiens de GM était dans le rouge de plusieurs milliards. Et elle a peut-être été saignée encore davantage par la crise boursière des derniers mois. Il ne serait donc pas étonné si les prestations devaient baisser.

«Pour les salariés, ils vont découvrir que l'entreprise n'avait pas réellement les moyens d'assumer ses obligations, ces dernières années, a-t-il indiqué. Ils n'ont pas comblé l'écart qu'ils auraient dû combler. Les retraités sont donc en droit de s'inquiéter.»

Rentables au Canada

Ces développements sont survenus le jour où une étude des TCA a révélé que les branches canadiennes GM et Chrysler ont empoché des bénéfices après impôt de 36,7 milliards entre 1972 et 2007.

Selon l'économiste en chef des TCA, Jim Stanford, l'étude devrait inciter les gens à se demander pourquoi GM et Chrysler affirment ne pas pouvoir payer les prestations de leurs employés à la retraite.

Mais les chiffres de l'étude pourraient être exagérés, a indiqué Joe D'Cruz, professeur à l'école de gestion Rotman de l'Université de Toronto.