Baisse du prix du lait payé au producteur, brèche dans la gestion de l'offre, manque de relève: plusieurs raisons ont convaincu, l'automne dernier, des agriculteurs québécois de vendre leurs vaches et cesser la production de lait.

La deuxième moitié de 2015 a été difficile pour plusieurs producteurs de lait québécois. D'abord les négociations menant à la signature du Partenariat transpacifique (PTP) ont mis la lumière sur le système de gestion de l'offre, qui a été critiqué et qui menaçait d'être abandonné par le Canada, ce qui ne fut finalement pas le cas. De plus, le prix du lait payé au producteur a chuté à l'été - il a depuis remonté. Ces deux facteurs, soutenus par plusieurs autres, ont créé un climat d'insécurité et de mécontentement suffisant pour convaincre de nombreux producteurs de prendre leur retraite du métier.

Les transactions de quotas, le droit de produire du lait sous gestion de l'offre, ont atteint des sommets au Québec l'automne dernier. La province a perdu de 30 à 35 fermes par mois durant cette période, pour un total de 257 fermes laitières en moins sur une année.

«Chaque soubresaut, qu'il soit politique ou économique, entraîne une vague d'abandons», confirme le président de l'Union des producteurs agricoles du Québec, Marcel Groleau. «Les gens travaillent sept jours par semaine. Plusieurs fermes n'ont pas de main-d'oeuvre. Financièrement, c'est difficile. Ces gens ont investi au maximum. Lorsqu'il arrive du découragement et une nouvelle comme celle-là [les négociations du PTP] qui ajoute de l'inquiétude, ils décident de décrocher. On a déjà vécu ça dans le porc», poursuit M. Groleau, producteur laitier depuis 1999, dans la région de Thetford Mines.

Des encanteurs occupés

«Le téléphone s'est mis à sonner lorsqu'on a beaucoup entendu parler du PTP», raconte l'encanteur Luc Breton. De nombreux producteurs faisaient évaluer leurs actifs et songeaient à vendre. Le mouvement se poursuit. «On visite deux, trois fermes laitières par semaine ces temps-ci», confie Luc Breton. Son entreprise de la région d'Inverness prépare les encans de l'hiver qui s'annonce beaucoup plus chargé que d'habitude.

«Je crois que nous sommes à la croisée des chemins en production laitière au Québec», affirme Mario Berthiaume, qui produit du lait, du porc et du poulet en Beauce et qui organise également des encans agricoles dans sa région pour l'entreprise Sélect Gène.

Le scénario typique, explique Mario Berthiaume, est une petite ferme de peu de vaches, parfois même moins de 20 bêtes, des producteurs qui n'ont pas de relève et qui vieillissent. Cet automne décourageant les a décidés à vendre leurs quotas de production et liquider les actifs, incluant les vaches.

Parfois, l'exploitation est petite et désuète, et les agriculteurs ne tiendront même pas d'encan. Leur équipement dépassé représente peu d'intérêt pour les jeunes qui se lancent et veulent des installations à la fine pointe de la technologie. Les vaches sont alors vendues à l'abattoir. Elles deviendront de la viande hachée.

De plus jeunes producteurs ont aussi décidé de laisser tomber le lait cet automne, précise Luc Breton. Ce sont souvent des parents qui ont d'importantes obligations financières. Lorsque le prix du lait est passé sous les 70$ l'hectolitre, ils n'arrivaient tout simplement plus à boucler le budget, explique l'encanteur. Selon lui, la pression est énorme pour les producteurs agricoles qui doivent constamment s'adapter à de nouvelles réglementations.

Le métier de producteur de lait a changé, poursuit Mario Berthiaume. La relève aborde la production avec une vision entrepreneuriale. «Les jeunes ne se lancent pas en agriculture pour perdre de l'argent, dit-il. Ils ne nourriront pas le peuple pour rien. Ils veulent être super efficaces. Leurs robots sont prêts et tout est calculé. Ils vont travailler fort, mais avec du profit au bout de la ligne. Comme pour n'importe quelle entreprise.»

Rationalisation

La diminution du nombre de fermes laitières n'est pas un phénomène nouveau ni unique au Québec. La modernisation des techniques a augmenté la productivité de chacune des entreprises et le nombre de fermes diminue régulièrement depuis 25 ans. En 1990, il y avait plus de 14 000 fermes laitières au Québec. Il y en a moins de 6000 aujourd'hui.

Le syndicat des producteurs de lait du Québec confirme qu'il y a eu plus de fermetures en 2015 que durant les années précédentes. Au total, c'est 4% des fermes laitières qui sont disparues. «On aurait aimé n'en perdre aucune, explique François Dumontier, porte-parole des Producteurs de lait du Québec. Mais pour une année aussi difficile que 2015, ce n'est pas si mal.»

Au Canada, le système de gestion de l'offre impose aux producteurs de lait d'acheter des droits de produire, ces quotas, qui sont revendus au moment de la retraite. Présentement, le droit de produire un kilo de matières grasses par jour, par vache, est évalué à 25 000$ au Québec. Ce qui veut dire qu'un propriétaire de 60 vaches, la ferme québécoise moyenne, recevra théoriquement 1,5 million uniquement pour la valeur de ses quotas.

«Le prix des terres et la valeur des quotas font que certains font de bonnes affaires [lorsqu'ils quittent le métier]», dit Marcel Groleau.

Le taux d'endettement varie grandement d'une entreprise à l'autre.