Quelque 130 crabiers du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse arrivent au terme d'une très longue bataille juridique contre le gouvernement fédéral, à qui ils réclament près de 250 millions de dollars. Dans une cause historique qui pourrait faire jurisprudence, ils accusent Pêches et Océans Canada d'avoir accordé trop de permis pour la quantité de crabe disponible et de s'être approprié une part des quotas qui leur revenait pour payer un sous-traitant.

Après six ans de procédures et presque autant de mauvaise pêche, le litige sera finalement entendu sur le fond par un juge de la Cour fédérale en septembre prochain.

Les crabiers, dont la saison commence tout juste, en ont contre des décisions du gouvernement qui remontent à aussi loin que 2003 et qui, selon eux, les ont privés de centaines de millions de dollars en revenus. «On a été déficitaires durant plusieurs années. Ça nous coûtait de l'argent d'aller en mer, mais on n'avait pas le choix de travailler si on ne voulait pas perdre nos clients», rage le porte-parole de l'Association des crabiers gaspésiens, Daniel Desbois. Cette année risque d'être la première où il fera de l'argent depuis longtemps.

Plus d'une centaine de ses collègues de trois provinces et lui étaient seuls à avoir des cages dans la zone sud du golfe Saint-Laurent entre 1975 et le début 2000. Ils allèguent que le fédéral n'avait pas le droit d'inclure de nouveaux pêcheurs dans leur secteur sans les dédommager. Cela est pourtant arrivé.

À plusieurs reprises, dit leur requête déposée devant la Cour fédérale, le gouvernement a «renforcé les attentes légitimes des pêcheurs traditionnels que leurs permis continueraient d'être renouvelés à l'avenir et que la portion du total admissible de capture attribué à chacun d'eux demeurerait inchangée.» Convaincus de rester maitres de leur territoire, les crabiers ont d'ailleurs dépensé plus de 10 millions pour financer des activités de recherche, de protection et de gestion de la ressource du ministère des Pêches et Océans, en plus d'investir dans leurs entreprises.

Mais à partir de 2003, le gouvernement fédéral a décidé de permettre à des centaines de nouveaux pêcheurs de travailler dans la zone. Ce faisant, il enlevait une portion du total admissible de captures aux 130 requérants pour le donner à d'autres, ce qui aurait réduit de façon significative leurs revenus. «La pointe de tarte est de plus en plus mince», soupire M. Desbois.

En tout, 16% de la ressource a été offerte à des communautés autochtones. Une part semblable est allée à des pêcheurs d'autres espèces, dont le homard, alors qu'un 5% a été attribué aux pêcheurs d'une autre zone. Le nombre de permis est ainsi passé de 130 à près de 400 en quelques années. Selon les plaignants, le gouvernement aurait dû racheter des permis aux volontaires plutôt que d'en émettre des nouveaux, dont le nombre élevé «mettait en péril la viabilité de leurs entreprises et de la pêche au crabe en général, et risquait de mettre en péril la ressource elle-même».

Dans l'opération, Pêches et Océans Canada s'est même approprié une portion des quotas pour financer ses activités de recherche en permettant à un sous-traitant chargé d'effectuer certains relevés de pêcher 50 tonnes métriques de crabe pour le payer. Cette pratique a été condamnée par un tribunal: le Ministre n'avait pas le pouvoir de payer un fournisseur avec les produits de la pêche.

Les quelque 130 crabiers traditionnels affirment avoir perdu 248,5 millions de dollars entre 2003 et 2008 à cause des agissements du gouvernement. Ils ont déposé une première requête devant la Cour fédérale en 2007. Après plus de cinq ans de procédures, de dépôts de documents et de batailles devant les tribunaux simplement pour avoir le droit de procéder, un juge de Fredericton entendra les parties sur le fond pour une première fois. Ottawa a demandé un jugement sommaire pour que la poursuite contre lui soit abandonnée.

«Nous comptons bien prouver au juge que nous avons une cause», prévient l'avocat Bernard Jolin du cabinet Heenan Blaikie, qui défend les crabiers. S'ils y arrivent, le procès devrait avoir lieu avant la fin de 2013.

Pêches et Océans Canada a refusé de commenter le litige puisqu'il est toujours devant les tribunaux.