Les gouvernements du Canada, de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario et, surtout, du Québec ont versé un total de 120,5 millions de dollars en subventions à Ubisoft au cours de son année financière 2016-2017, terminée le 31 mars dernier.

C'est ce que révèle le rapport annuel de l'entreprise française, dévoilé à la fin du mois de juillet. Les aides gouvernementales canadiennes avaient atteint 110,2 millions en 2015-2016 et 90,4 millions en 2014-2015. À une exception près, elles ont progressé chaque année depuis que les données sont disponibles.

De toutes les multinationales du jeu vidéo implantées au Canada, Ubisoft est la seule à rendre publiques les sommes obtenues des gouvernements. Il faut dire que celles-ci revêtent une importance capitale dans les finances du groupe.

Au total de ses 12 dernières années financières, celles pour lesquelles ces données sont disponibles, Ubisoft a reçu plus de subventions des gouvernements canadiens (629,8 millions d'euros) qu'elle n'a dégagé de profits avant impôts (613,2 millions d'euros). Les résultats financiers d'Ubisoft sont présentés en euros.

CONTRIBUTION DE QUÉBEC

Sans surprise, c'est le gouvernement québécois qui est le plus important contributeur. Des 84,7 millions d'euros (120,5 millions de dollars) reçus par Ubisoft lors de la dernière année, 63,4 millions (90,3 millions de dollars) sont attribués au programme québécois pour la production de titres multimédias, un crédit d'impôt remboursable qui peut atteindre 37,5 % des salaires des employés admissibles.

Au total, le gouvernement du Québec a versé 178 millions de dollars pour ce programme durant l'année 2016. Le calcul n'est pas parfait puisque l'année financière d'Ubisoft se termine le 31 mars, mais l'entreprise française a donc vraisemblablement empoché à elle seule la moitié de ces sommes.

Il s'agit par ailleurs de la portion des subventions canadiennes reçues par Ubisoft, qui augmente le plus rapidement d'une année à l'autre, en raison principalement de la hausse du nombre d'employés de l'entreprise. Elle était de 76,9 millions de dollars l'année précédente.

Ubisoft reçoit aussi des crédits d'impôt comparables au programme québécois en Ontario et en Nouvelle-Écosse, en raison de sa présence à Toronto et à Halifax, mais ceux-ci ne sont pas détaillés de façon aussi précise. La provenance exacte des crédits de recherche et développement de 9 millions d'euros (12,8 millions de dollars) qu'elle reçoit au Canada n'est pas non plus précisée.

RENTABLE POUR LE GOUVERNEMENT

Dans le cadre de la Commission d'examen sur la fiscalité (commission Godbout), en 2014, trois études distinctes avaient conclu que le programme québécois était rentable pour le gouvernement. Le ministère des Finances, KPMG et E&B Data avaient respectivement estimé un retour supérieur de 1 %, 7 % et 41 % aux sommes investies.

« Le Québec est soumis à une très forte concurrence fiscale de la part d'autres juridictions », peut-on lire dans le rapport final de la commission au sujet de ce crédit, dont on recommandait le rehaussement après qu'il eut été amputé de 20 % comme tous les autres en juin 2014.

« Il s'agit d'un exemple de secteur où les juridictions se livrent une véritable concurrence fiscale. Bien que les juridictions en question, dont le Québec, soient globalement perdantes en raison de cette concurrence, il est impossible d'y mettre fin unilatéralement. Les entreprises concernées sont extrêmement mobiles. La grande majorité des entreprises d'envergure dans le secteur du jeu vidéo au Québec sont des sociétés étrangères pouvant assez facilement se délocaliser. »

Selon l'Alliance numérique, l'organisation qui la regroupe, l'industrie du jeu vidéo génère environ 10 000 emplois directs et indirects au Québec, avec un salaire annuel moyen de 72 000 $.

PAS DE CRÉATION D'EMPLOIS

Au début de l'été, deux entrepreneurs québécois importants, Eric Boyko, de Stingray, et Louis Têtu, de Coveo, avaient coup sur coup critiqué les subventions octroyées aux géants du jeu vidéo. Celles-ci ne créent aucun emploi, arguent-ils, puisque la main-d'oeuvre spécialisée est déjà insuffisante.

« Le Québec a besoin de 100 000 talents. Il n'y en a que 70 000, et on paie des entreprises étrangères pour en embaucher de 10 000 à 12 000 », a résumé hier Louis Têtu, lorsqu'interrogé à nouveau sur ce sujet.

« En plus, on prive des entreprises québécoises de la ressource dont elles ont le plus besoin, le talent. »

Il cite en exemple l'entrepreneur Jean Laflamme, de Meubles South Shore, un fabricant de meubles qui se distingue grâce au commerce électronique et à l'automatisation.

« S'il ne s'était pas numérisé, il n'existerait plus. Là, il l'a fait et son entreprise doit avoir environ 1500 employés, dont 1000 dans l'usine. Les emplois en technologie sont des emplois "locomotives" qui peuvent créer des emplois dans d'autres secteurs. »

Les sommes présentées en dollars canadiens ont été converties depuis l'euro au taux de change du 31 mars de l'année ciblée.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Têtu, PDG de Coveo