Alors que le CRTC suggère la création d'un fonds pour financer les nouvelles locales, les principaux propriétaires de stations de télé au Québec ne s'entendent pas sur la façon de distribuer l'argent. L'un des principaux points de désaccord : CBC/Radio-Canada doit-elle en bénéficier ?

La société d'État, qui possède sept stations locales de télé au Québec, estime qu'elle devrait être admissible à ce fonds proposé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans le cadre de ses audiences publiques sur le sujet. 

« Nous croyons que c'est dans les plus petits marchés où la situation est la plus criante. C'est cette capacité de produire du contenu local original et pertinent qu'il faut soutenir et sauvegarder, de façon urgente. Dans les conditions actuelles, elle est extrêmement difficile à maintenir pour tous les joueurs, incluant le diffuseur public dont c'est pourtant une partie du mandat », a dit Louis Lalande, vice-président principal des services français de Radio-Canada, lors des audiences, qui se sont terminées hier.

Ses concurrents du secteur privé au Québec ne voient pas la situation du même oeil : le Groupe TVA, V Média et RNC Média estiment tous que Radio-Canada devrait être exclue d'un éventuel fonds pour l'information locale. Fait intéressant : ce débat est quasi inexistant au Canada anglais, où Bell et Rogers ne s'opposent pas à ce que les stations locales de CBC aient accès à un tel fonds s'il est créé par le CRTC (la formule proposée par Bell avantage toutefois les diffuseurs privés, comme CTV et Global). Shaw, propriétaire des stations locales de Global, s'oppose à la création d'un nouveau fonds. Les autres propriétaires de stations de télé ont proposé des fonds variant entre 45 et 70 millions par an.

TVA, qui possède six stations locales au Québec, soutient qu'il serait « tout à fait inapproprié » que les chaînes locales de Radio-Canada aient accès à un fonds pour les émissions d'information locales.

« CBC/Radio-Canada est en bien meilleure position financière que les télédiffuseurs privés en raison de l'important financement public qu'elle reçoit. » - Julie Tremblay, présidente et chef de direction du Groupe TVA

Vendredi dernier, le président du CRTC, Jean-Pierre Blais, s'est interrogé sur la proposition de TVA, qui « semble être une tentative d'exclure votre compétiteur » au Québec d'un fonds pour les nouvelles locales. « Je trouve ça malheureux qu'on le voie comme [une tentative] d'exclure notre compétiteur », a répondu Mme Tremblay, faisant valoir que « les chiffres démontrent clairement » que ce sont les chaînes privées généralistes qui sont « en difficulté en ce moment ».

Ce constat de TVA ne semble pas partagé par le conseiller du CRTC Yves Dupras, qui s'est montré critique à l'égard de l'ensemble des propositions de la filiale de Québecor durant les audiences. « Corrigez-moi, mais j'ai l'impression de voir une entreprise qui s'en sort, somme toute, bien, et qui en demande encore plus », a-t-il dit. Évidemment, TVA n'est pas d'accord. « Les chiffres [...] démontrent que la télévision privée ainsi que TVA n'échappent pas au fait d'une problématique de rentabilité, contrairement à Radio-Canada/CBC », a glissé Julie Tremblay.

DANS LE ROUGE

Pour la première fois au Québec, les chaînes privées de télé locale ont perdu de l'argent (12,2 millions au total) en 2013-2014, dernière année où les données sont disponibles. Dans le cadre de ses audiences, le CRTC a ainsi lancé l'idée de créer un fonds pour les nouvelles locales financé par les distributeurs télé.

Lors du débat sur les redevances de la télé généraliste devant le CRTC en 2009, TVA et V Média s'étaient aussi opposés à la participation de Radio-Canada à un tel régime. Cette fois-ci, en plus de TVA, V Média (propriétaire de cinq chaînes locales de télé) et RNC Média (propriétaire de cinq chaînes locales affiliées à Radio-Canada, TVA et V) suggèrent aussi d'exclure CBC/Radio-Canada d'un nouveau fonds pour les nouvelles locales. « CBC et Radio-Canada disposent déjà d'importants crédits gouvernementaux pour s'acquitter de leurs mandats respectifs », a dit Maxime Rémillard, président et chef de la direction de V Média, qui propose aussi d'exclure les conglomérats intégrés comme Québecor/TVA. RNC Média suggère d'exclure Radio-Canada seulement si la société d'État obtient les 150 millions supplémentaires par année promis par le gouvernement Trudeau en campagne électorale.

CBC/Radio-Canada propose quant à elle que le nouveau fonds soit admissible seulement aux « petits marchés » de moins de 300 000 personnes (au Québec, les stations locales de Radio-Canada à Montréal et Québec en seraient exclues).

EN CHIFFRES

31

Nombre de stations locales de télé au Québec (26 en français, 5 en anglais)

12,2 millions

Pertes des stations locales privées de télé au Québec en 2013-2014 (avant impôts et intérêts)

24,2 millions

Profits des stations locales privées de télé au Québec en 2012-2013 (avant impôts et intérêts)

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE